• Celui que l'Amour range à son commandement
    Change de jour en jour de façon différente.
    Hélas ! j'en ai bien fait mainte preuve apparente,
    Ayant été par lui changé diversement.

    Je me suis vu muer, pour le commencement,
    En cerf qui porte au flanc une flèche sanglante,
    Depuis je devins cygne, et d'une voix dolente
    Je présageais ma mort, me plaignant...

  • Je ne suis plus celui qui sous l'ombre plaisante
    D'un beau rang de sapins, tout seul se promenait,
    Un luth dessous son bras, qui doucement sonnait,
    Me délivrant d'ennui, et de douleur cuisante :

    Mais je suis bien celui qui non tant se contente
    A plaidasser ici, heureux qui ne connaît
    Procureurs ni procès, ains qui tout libre voit
    Aux champs, à force d'...

  • Celui vraiment savait bien la manière
    Comme il allait de l'un à l'autre état,
    Quand, comparant l'avocat au soldat,
    Les fit loger dessous même bannière.
    L'un va bravant d'une lance guerrière,
    L'autre, bragard, de sa langue s'ébat,
    Tous deux vaillants, l'un de ces deux combat
    En un barreau, et l'autre à la barrière.
    Tous deux, hardis, combattent pour l'...

  • Celui qui va disant que la mort inhumaine
    Délivre un amoureux des liens de l'amour
    Est privé de raison comme les nuits du jour,
    Il ne sentit jamais le mal qui me pourmène,

    Car la mort ne saurait pour arroser la plaine
    Du sang d'un pauvre coeur où ce dieu fait séjour,
    Faire que ce tyran, ce rigoureux vautour,
    Ne lui fasse sentir des feux et de la...

  • N'oser aimer celui, doué de bonne grâce,
    Qui est à ses amis sans artifice aucun,
    Ne parler à personne, éloigner un chacun,
    Fuir ce que la gloire aimablement pourchasse :

    Marcher piteusement avecque triste face
    Avoir le chef couvert d'un grand voile importun,
    Vivotter mal-en-point - usage trop commun -
    Et comme un prisonnier ne bouger d'une place,
    ...

  • J'ai regardé, par la lucarne ouverte, au flanc
    D'un phare abandonné que flagellait la pluie :
    Des trains tumultueux, sous des tunnels de suie,
    Sifflaient, toisés de loin par des fanaux de sang.

    Le port, immensément hérissé de grands mâts,
    Dormait, huileux et lourd, en ses bassins d'asphalte ;
    Un seul levier, debout sur un bloc de basalte,
    Serrait...

  • Je suis celui des pourritures grandioses
    Qui s'en revient du pays mou des morts ;
    Celui des Ouests noirs du sort
    Qui te montre, là-bas, comme une apothéose,
    Son île immense, où des guirlandes ,
    De détritus et de viandes
    Se suspendent,
    Tandis, qu'entre les fleurs somptueuses des soirs,
    S'ouvrent les grands yeux d'or de crapauds noirs.

    ...

  • Ce soir, l'homme de la fatigue
    A regarder s'illimiter la mer,
    Sous le règne du vent despote et des éclairs,
    Les bras tombants, là-bas, s'est assis sur ma digue.

    Le vêtement des plus beaux rêves,
    L'orgueil des humaines sciences brèves,
    L'ardeur, sans plus aucun sursaut de sève,
    Tombaient, en loques, sur son corps :
    Cet homme était vêtu de...

  • Heureux celui qui peut longtemps suivre la guerre
    Sans mort, ou sans blessure, ou sans longue prison !
    Heureux qui longuement vit hors de sa maison
    Sans dépendre son bien ou sans vendre sa terre !

    Heureux qui peut en cour quelque faveur acquerre
    Sans crainte de l'envie ou de quelque traïson !
    Heureux qui peut longtemps sans danger de poison
    Jouir d'un...

  • Si celui qui s'apprête à faire un long voyage
    Doit croire celui-là qui a jà voyagé,
    Et qui des flots marins longuement outragé,
    Tout moite et dégouttant s'est sauvé du naufrage,

    Tu me croiras, Ronsard, bien que tu sois plus sage,
    Et quelque peu encor (ce crois-je) plus âgé,
    Puisque j'ai devant toi en cette mer nagé,
    Et que déjà ma nef découvre le rivage...