• C’est une grande allée à deux rangs de tilleuls.
    Les enfants, en plein jour, n’osent y marcher seuls,
    Tant elle est haute, large et sombre.
    Il y fait froid l’été presque autant que l’hiver ;
    On ne sait quel sommeil en appesantit l’air
    ...

  • La blanche Vérité dort au fond d’un grand puits.
    Plus d’un fuit cet abîme ou n’y prend jamais garde ;
    Moi, par un sombre amour, tout seul je m’y hasarde,
    J’y descends à travers la plus noire des nuits.

    Et j’entraîne le câble aussi loin que je puis ;
    Or je l’ai déroulé jusqu’au bout, je regarde,
    Et, les bras étendus, la prunelle hagarde,
    J’oscille sans...

  • Toutes, portant l’amphore, une main sur la hanche,
    Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
    Esclaves d’un labeur sans cesse inachevé,
    Courent du puits à l’urne où l’eau vaine s’épanche.

    Hélas ! le grès rugueux meurtrit l’épaule blanche,
    Et le bras faible est las du fardeau soulevé :
    « Monstre, que nous avons nuit et jour abreuvé,
    » O gouffre, que nous veut...

  • Augias, roi d’Élis, avait trois mille bœufs.
    Plein d’aise en les voyant il chérissait en eux
    Le bien qu’avaient accru ses longs jours économes.
    Mais le Destin jaloux en veut au bien des hommes :
    Les murs où s’abritait le mugissant bétail,
    Désertés, n’étaient plus qu’un vaste épouvantail,
    Car des ruisseaux vaseux de la vieille écurie
    Surgissait une...

  • Nous aimons à rôder sur la place Navone.
    Ah ! le pied n’y bat point l’asphalte monotone,
    Mais un rude pavé, houleux comme une mer.
    Des maraîchers y font leurs tentes tout l’hiver,
    Et les enfants, l’été, s’ébattent dans l’eau bleue,
    Sous le triton qui tient un dauphin par la queue.
    Au beau milieu surgit un chaos où l’on voit
    Dans un antre de pierre un...

  • Elle n’a pas perdu de son cœur un pistil,
    Ni du frêle tissu de sa corolle un fil ;
    La page ondule encore où sécha la rosée
    De son dernier matin, mêlée à d’autres pleurs ;
    La mort en la cueillant l’a seulement baisée,
    Et, soigneuse, n’a fait qu’éteindre ses couleurs,
    Mais ne l’a...

  • Toi qui m’entends parler sans frayeur de la mort,
    Parce que ton amour te promet qu’elle endort,
    Et que le court sommeil commencé dans son ombre
    S’achève au clair pays des étoiles sans nombre,
    Reçois mon dernier vœu pour le jour où j’irai
    Tenter seul, avant toi, si ton amour dit vrai.

    Ne cultive au-dessus de mes paupières closes
    Ni de grands dahlias,...

  • Le dimanche, au Borgo, les femmes & les filles,
    Lasses d’avoir, six jours, traîné sous des guenilles,
    Étalent bravement un linge radieux ;
    Ce n’est plus le costume éclatant des aïeux :
    Quand le peuple vieillit, l’habit se décolore.
    Pourtant le rouge vif les réjouit encore :
    Elles font resplendir sur le brun de leur peau
    Des fichus qu’on dirait...

  • Je n’aime pas les maisons neuves,
    Leur visage est indifférent ;
    Les anciennes ont l’air de veuves
    Qui se souviennent en pleurant ;

    Les lézardes de leur vieux plâtre
    Semblent les rides d’un vieillard,
    Leurs vitres au reflet verdâtre
    Ont comme un triste & bon regard !

    Leurs portes sont hospitalières,
    Car ces barrières ont vieilli ;...

  • Saturne, Jupiter, Vénus, n’ont plus de prêtres.
    L’homme a donné les noms de tous ses anciens maîtres
    A des astres qu’il pèse et qu’il a découverts,
    Et le dernier des dieux dont le culte demeure,
    A son tour menacé, tremble que tout à l’heure
    Son nom ne serve plus qu’à nommer l’univers.

    Les paradis s’en vont ; dans l’immuable espace
    Le vrai monde élargi...