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    JE regrette les yeux qui jadis m’ont souri
    Parce que je fus pâle et que ma chair souffrit ;
    Malgré ce que le temps en nous efface ou voile,
    De leurs regards émus ma mémoire s’étoile.
    Je me suis fait moi-même un ciel intérieur
    Que l’esprit de ce siècle incrédule et railleur
    Ne pourrait dépeupler de mes visions chères.
    J’ai suspendu trop haut...

  • Je sais que tu es pauvre :
    tes robes sont modestes.
    Mine douce, il me reste
    ma douleur : je te l’offre.

    Mais tu es plus jolie
    que les autres, ta bouche
    sent bon — quand tu me touches
    la main, j’ai la folie.

    Tu es pauvre, et à cause
    de cela tu es bonne ;
    tu veux que je te donne
    des baisers et des roses.

    Car tu es jeune...

  • Je sais un nid charmant et tendre
    Où niche l’oiseau bleu du cœur,
    L’oiseau dont nul ne peut entendre
    Sans tressaillir, l’accent vainqueur ;

    Nid plein de grâces sans pareilles,
    Qui, sous un rayon de gaieté,
    Scintillent comme des abeilles
    Dans l’or des aurores d’été.

    Formé de fleurs fraîches écloses,
    Œuvre admirable de l’amour,
    Des...

  • Je songe à ce jour-là où vous me confierez
    votre pudeur pareille au muguet-des-forêts.

  •                                        I

    Je suis dans un pré où coule l’eau froide dans l’herbe,
    le long des cerisiers, sur des joncs, des cailloux.
    Les filles mettront les fleurs du pré vert en gerbes
    pour la procession quand le temps sera doux :
    les fleurs qu’on appelle bouquets faits, les joncs roses.
    Les jeunes filles seront en blanc et, le soir,
    ...

  •  
    Je suis fait d’ombre et de marbre.
    Comme les pieds noirs de l’arbre,
    Je m’enfonce dans la nuit.
    J’écoute ; je suis sous terre ;
    D’en bas je dis au tonnerre :
    Attends ! Ne fais pas de bruit.

    Moi qu’on nomme le poète,
    Je suis dans la nuit muette
    L’escalier mystérieux ;
    Je suis l’escalier Ténèbres ;
    Dans mes spirales funèbres...

  •  
    Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends
    Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants.
    Je suis calomnié. Pourquoi ? Parce que j’aime
    Les bouches sans venin, les cœurs sans stratagème.
    Le bonze aux yeux baissés m’abhorre avec ferveur,
    Mais qu’est-ce que cela me fait, à moi rêveur ?
    Je sens au fond des cieux quelqu’un qui voit mon âme ;
    ...

  •  
    Je suis né pour l'amour, j'ai connu ses travaux,
    Mais, certes, sans mesure il m'accable de maux
    A porter ce revers mon âme est impuissante.
    Eh quoi ! beauté divine, incomparable amante,
    Je vous perds ! Quoi, par vous nos liens sont rompus,
    Vous le voulez ; adieu, vous ne me verrez plus :
    Du besoin de tromper ma fuite vous délivre.
    Je vais loin...

  • Ie suis tant bien, que ie ne le puis dire,
    Ayant sondé son amytié profonde
    Par sa vertu, qui a l’aymer m’attire
    Plus que beaulté : car sa grace, & faconde
    Me font cuyder la premiere du monde.

    Je suis tant bien que je ne le puis dire,
    Ayant sondé son amitié profonde
    Par sa vertu, qui à l’aimer m’attire
    Plus que beauté : car sa grâce et...

  • Je suis une brebis qui court dans les œillets.
    Elle tremble, et sa voix semble toute mouillée
    Lorsque l’on voit le jour succéder à la nuit :
    Car l’aurore est bien froide avant que la brebis
    Dans le pur arc-en-ciel soit tout ensoleillée…
    Renais, soleil ! Du fond des cirques ténébreux.
    Renaissez, renaissez, Mystères glorieux,
    Par la brebis qui tremble...