Je suis dans un pré

                                       I

Je suis dans un pré où coule l’eau froide dans l’herbe,
le long des cerisiers, sur des joncs, des cailloux.
Les filles mettront les fleurs du pré vert en gerbes
pour la procession quand le temps sera doux :
les fleurs qu’on appelle bouquets faits, les joncs roses.
Les jeunes filles seront en blanc et, le soir,
la procession jonchera le reposoir
et le curé dira de bien, bien belles choses.

                                       II

Il élèvera le Saint-Sacrement doré
et les larmes viendront aux yeux — ô gloire, gloire,
gloire à Dieu, dira-t-on, que son nom soit sacré,
il est le Dieu puissant, le Dieu de la victoire !
Les encensoirs fumeront et les fleurs en l’air
se mêleront ; les filles feront leur voix aiguë,
et la procession reviendra dans la rue
vers quatre heures, quand le soir est encore clair.

                                       III

Les ronces pendent dans le chemin, le vent passe
dans les feuilles transparentes des peupliers,
et dans le lavoir jaune il y a des laveuses,
et souvent des linges à côté sont pliés.
Les canards, les poussins jaunes sont dans la boue,
les grillons chantent dans la haie, les moucherons
au-dessus de l’eau volent en faisant des ronds.
Les frelons volent et les petits enfants jouent.

                                       IV

Le ciel est bleu. Les herbes près de l’eau sont bleues,
et au soleil les maisons en chaux sont plus blanches,
et les paysans suivent à long pas les bœufs
et derrière la herse qui racle ils se penchent.
Le vent souffle tout doucement sur le blé vert,
mais je passe ennuyé devant toutes ces choses
et sur les ajoncs qui piquent près des jardins
et près des fermes bien fraîches où aboient les chiens,
sur le farouche rouge et sur le trèfle rose.

                                       V

Bien que je m’ennuie, moi, je veux retourner là
quand je serai malade encore, voir des bûches
dans les vieux jardins et secouer des lilas
pour faire pleuvoir les hannetons, boire aux cruches
sur l’évier frais, dans la cuisine qui sent fort,
et rester seul avec moi d’un air doux et triste
et puis me promener seul sans aller trop vite.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  

                                       VI

Les nuages sont blancs, la terre grise est tiède.
Devant la ferme l’évier frais sue en dehors ;
cet évier est une pierre usée qui est froide
même à midi, quand tout est chaud et que tout dort.
Les lézards courent sur les briques des murailles
dont les ongles peuvent enlever des morceaux.
Il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud,
et l’on s’égratigne les jambes aux broussailles.

                                       VII

La terre se fendille et nous avons été
cueillir de la mousse pour une croix de tombe ;
elle était jaune et sèche et j’ai gratté
pour l’arracher ; sur des flaques d’eau jaune tombent
des feuilles, et au fond il y a des têtards.
Dans les prés il y a des fleurs fines qui bougent ;
les pies viennent en criant sur les chênes ronds,
et sitôt que quelqu’un arrive, elles s’en vont.
Vers sept heures tout le fond du ciel est très rouge.

                                      VIII

Il y a sur la place un soleil chaud et blanc.
Sur la place on entend des marteaux qui résonnent
dans la forge noire et rouge : un retombement.
Les poulets piquent le grain dans la paille jaune.
L’herbe a poussé entre les pavés près des bancs
où sont des femmes qui causent et qui s’arrêtent
de bavarder pour regarder passer les gens.
On dirait que les coqs ont du sang à la crête.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

                                       I

Il y a des roses sur le mur où il a plu ;
et dans la haie aussi et les feuilles sont molles.
Ce matin il y a du brouillard gris, et plus
on regarde loin, il est épais. Il se pose
sur le coteau au haut des feuilles des pins noirs ;
il fait un peu frais, mais pas trop. Je viens de voir
des laitières près du mur mouillé plein de roses.

                                       II

Sur la route il y a un peuplier écorcé
dont le bois blanc est un peu jauni par la pluie ;
j’avais les doigts froids pour les y avoir passés.
L’osier mouillé qui tient les portes des champs crie ;
le foin du pré est couché ; dans la haie on voit
des branches noires de bois sec pleines de gouttes ;
une pie est posée sur le bord de la route,
la pluie coule de la paille des chars et des toits.

                                       III

Le temps est gris, sans nuages : les hirondelles
poussent des cris dans le ciel gris, humide et froid
et elles font des croix noires avec leurs ailes.
Leur cri est aigu et long au-dessus des toits
d’où la fumée sort doucement des briques rouges.
L’intérieur des mansardes est noir et profond,
et l’on ne peut pas voir ce qu’il y a au fond.
Il commence à pleuvoir un peu à grosses gouttes.

                                                             1889.

Collection: 
1888

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