Les toits semblent perdus
Et les clochers et les pignons fondus,
Par ces matins fuligineux et rouges,
Où, feux à feux, des signaux bougent.
Une courbe de viaduc énorme
Longe les quais mornes et uniformes ;
Un train s’ébranle immense et las.
Au loin, derrière un mur, là-bas,
Un steamer rauque avec un bruit de corne.
Comme une ville qui s’allume
Et que le vent vient d’embraser,
Tout mon cœur brûle et se consume,
J’ai soif, oh ! j’ai soif d’un baiser.
Baiser de la bouche et des lèvres
Où notre amour vient se poser,
Plein de délices et de fièvres,
Ah ! j’ai soif, j’ai soif d’un baiser !
Baiser multiplié que l’homme
Ne pourra jamais épuiser,...
Au sortir de Paris on entre à Notre-Dame.
Le fracas blanc vous jette aux accords long-voilés,
L’affreux soleil criard à l’ombre qui se pâme
Qui se pâme, aux regards des vitraux constellés,
Et l’adoration à l’infini s’étire
En des récitatifs lentement en-allés.
Vêpres sont dites, et l’autel noir ne fait luire
Que six cierges, après les flammes...
La « grande ville » ! Un tas criard de pierres blanches
Où rage le soleil comme en pays conquis.
Tous les vices ont leur tanière, les exquis
Et les hideux, dans ce désert de pierres blanches.
Des odeurs ! Des bruits vains ! Où que vague le cœur,
Toujours ce poudroiement vertigineux de sable,
Toujours ce remuement de la chose coupable
Dans cette...
IV
Je n'ai pas de palais épiscopal en ville,
Je n'ai pas de prébende et de liste civile,
Nul temple n'offre un trône à mon humilité,
Nul suisse en colonel ne brille à mon côté,
Je ne me montre pas aux gros yeux des ganaches
Sous un dais, à ses coins ayant quatre panaches ;
La France, même au fond de l'abîme, est pour moi...
Nos coteaux, les plus purs de tous & les plus doux,
Que, n’eût été la Grèce, auraient choisis les faunes,
Au bas de leurs sentiers poudrés de sables jaunes
Ont comme une hydre énorme éparse à leurs genoux.
La Ville nous fascine, étant moins près de nous,
Avec ses tours aussi royales que des trônes ;
Horizontale, bleue & blanche entre les cônes...
Du grand roc Alburno les bergers aux traits hâves
Ont surnommé Pœstum l’antre des vals pourris,
Stigmatisant ainsi, taciturnes & graves,
La luxure où sombra cette autre Sybaris.
Mais ceux de Campanie honorent les débris
Qu’incrusta sur leurs monts la ville des esclaves ;
La légende a toujours appelé lieu des braves
Ces murs...
J’ai construit dans mon âme une ville torride.
Gares, halles, clochers, voûtes, dômes, beffrois,
Et du verre et de l’or et des feux sur les toits.
Passant, tu n’y trouveras pas
Autour des vieux foyers de quiétude
Les fauteuils lourds, boiteux et las
Où sommeillent et se chauffent en tas...
Mais alors ici de ville en villages,
cloches sonnant haut pour ceux des métiers,
voici s’en aller mon cœur à l’ouvrage,
truelles aux mains et sabots aux pieds,
avec les rouliers disant litanies
à chansons de près et grelots de loin,
et les maçons marchant en compagnies
aux routes où c'est vie à tôt...