• Ta colère triomphe, ô Kâla ! nul refuge.
    Bleue encor des poisons de l’océan lacté,
    Ta sombre gorge avait amassé le déluge.

    Telle qu’un grand ravin par Marût habité,
    Ta narine profonde a soufflé la tourmente
    Sur l’incendie issu de ton œil irrité.

    Où sont les vastes cieux et la terre charmante ?
    Hélas ! toute la vie et toute la beauté
    Gisent sous...

  • Il n’avait qu’un habit vert,
    Un mince habit tout en loques,
    Et ses dents claquaient l’hiver,
    Comme un pendant de breloques.

    Loin des boulevards sablés
    Il traînait par la ruelle
    Ses vieux souliers éculés
    Et sa pensée immortelle.

    On l’a vu passer souvent
    Souriant d’un air étrange,
    Inspiré, cheveux au vent,
    Bohémien à face d’ange...

  • Allongeant dans l’air vide un regard hébété,
    Les pingouins sont groupés aux pointes des presqu’îles,
    Et la mer saute autour de ces spectres tranquilles,
    Immobiles témoins de sa mobilité.

    On ne les verra pas s’élancer dans l’orage,
    Car leurs pauvres moignons ne peuvent voltiger,
    Le ciel les déshérite, et, s’ils veulent nager,
    L’Océan dédaigneux les...

  • Voici la saison fraîche et rose
    Où, se levant dans un ciel pur,
    Le soleil jeune et blond arrose
    Les pâleurs moites de l’azur.

    L’Hiver, accroupi dans la pose
    D’un vieux mendiant contre un mur,
    Grelotte à l’Occident morose
    Que remplit un brouillard obscur,

    Mais, se déroulant comme une onde,
    Une large lumière inonde
    L’Orient vague et...

  • Je ne pensais à rien, pas même à mon remords.
    Allongé dans mon lit, je savourais l’absence
    Des rêves que le jour contre mon impuissance
    Lâche, comme un cheval à qui l’on ôte un mors.

    Ils laissaient reposer, enfin ! ma plaie intime,
    Car le soleil, au fond des couchants violets,
    Avait en s’en allant tiré dans ses filets
    Tous ces vampires las de sucer...

  • La seule chose que j’envie,
    C’est de sentir autour de moi
    Frémir l’insulte de la vie
    Pour en tirer un peu d’émoi.

    Salut donc, printemps dont le livre
    M’offre un martyrologe sûr,
    Salut, cher bourreau qui me livre
    Au vaste dédain de l’azur.

    Partout, en poses langoureuses,
    M’environne l’injure en fleur,
    Les petites feuilles heureuses...

  • Toutes, portant l’amphore, une main sur la hanche,
    Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
    Esclaves d’un labeur sans cesse inachevé,
    Courent du puits à l’urne où l’eau vaine s’épanche.

    Hélas ! le grès rugueux meurtrit l’épaule blanche,
    Et le bras faible est las du fardeau soulevé :
    « Monstre, que nous avons nuit et jour abreuvé,
    » O gouffre, que nous veut...

  • Tous ceux qui s’appelaient en se tendant les bras,
    Grands éplorés toujours loin de leurs Eurydices,
    Martyres des exils plus longs que les supplices,
    Cher ange de la Mort, tu les rapprocheras.

    Tu sculptes dans l’éther de bien beaux Alhambras,
    Pour y perpétuer nos furtives délices,
    Et dans ton saint mépris pour les hymens factices,
    Où l’homme a désuni,...

  • Là-bas, au flanc d’un mont couronné par la brume,
    Entre deux noirs ravins roulant leurs frais échos,
    Sous l’ondulation de l’air chaud qui s’allume,
    Monte un bois toujours vert de sombres filaos.
    Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
    Là-bas, dressant d’un jet ses troncs raides et roux,
    Cette étrange forêt aux douleurs ineffables
    Pousse un...

  • Dans Vérone, la belle et l’antique guerrière,
    Il est de grands tombeaux, où, tout bardés de fer,
    Muets, et les deux mains jointes pour la prière,
    Sur leurs écus sculptés gisent les Scaliger.

    Rigidement serrés dans leur robe de pierre,
    Sur leur front fatigué par l’outrage de l’air
    Et des siècles nombreux, sous leur morte paupière,
    Ils gardent un reflet...