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    Je vais m’asseoir, l’été, devant les plaines vertes,
    Solitaire, immobile, enchanté de soleil ;
    Ma mémoire dans l’air par d’insensibles pertes
    Se vide ; et, comme un sphinx aux prunelles ouvertes,
    Je dors étrangement, et voici mon sommeil :

    Ma poitrine s’arrête et plus rien n’y remue ;
    La volonté me fuit et je n’ai plus de voix ;
    Il entre dans...

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    Que voit-on dans ce champ de pierres ?
    Un paysan souffle, épuisé ;
    Le hâle a brûlé ses paupières ;
    Il se dresse, le dos brisé ;
    Il a le regard de la bête
    Qui, dételée enfin, s’arrête
    Et flaire, en allongeant la tête,
    Son vieux bât qu’elle a tant usé.

    La Misère, étreignant sa vie,
    Le courbe à terre d’une main,
    Et, fermant l’...

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    Il pleut. J’entends le bruit égal des eaux ;
    Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,
    Se penche et brille en pleurant sous l’averse ;
    Le deuil de l’air afflige les oiseaux.

    La bourbe monte et trouble la fontaine,
    Et le sentier montre à nu ses cailloux.
    Le sable fume, embaume et...

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    Silène boit. Sa tête est molle sur son cou ;
    Dédaigneux d’un soutien, il s’incline et se cambre,
    Tend sa coupe en tremblant, lui parle, y goûte l’ambre,
    Et vante sa sagesse avec un œil de fou.

    Il laisse au gré de l’âne osciller son enflure ;
    L’essaim des nymphes rit sur le rideau des cieux :
    Tendre, et les doigts errants dans une chevelure,
    Il...

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    Toute haleine s’évanouit,
    La terre brûle et voudrait boire,
    L’ombre est courte, immobile et noire,
    Et la grande route éblouit.

    Seules les abeilles vibrantes
    Élèvent leurs bourdonnements
    Qui semblent, enflés par moments,
    Des sons de lyres expirantes.

    On les voit, ivres de chaleur,
    D’un vol traînant toutes se rendre...

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    C’est, à peu près, Montmartre, en été, les dimanches
    Jérusalem rayonne au loin ;
    Les gibets sont bien droits sur des dalles bien blanches ;
    Le brin d’herbe est fait avec soin ;
    Un fort joli sentier conduit à la montagne,
    Ceux-ci viennent, ceux-là s’en vont ;
    Une fillette a l’air de dire à sa compagne :
    « Viens-tu voir là-haut ce qu’ils font...

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    On dit qu’importuné dans la paix de sa glace
    Le mont Blanc voit gravir tous les ans sa paroi
    Par des aventuriers pleins d’orgueil et d’effroi,
    Et la foule murmure : « A quoi bon cette audace ? »

    Là, dans l’éternité, tombe, s’amasse et dort
    La neige au morne éclat, ce deuil blanc des montagnes
    Qui souffrent d’assister aux saisons des campagnes
    ...

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    Quand chaque nuit d’ardente veille
    Avancerait d’un jour ma mort,
    Ma volonté serait pareille
    D’ébranler le cœur par l’oreille,
    Et je mourrais dans un accord.

    J’ai bien payé dans ma journée
    Le tribut des bras au labour ;
    La nuit change ma destinée,
    Et dans mon âme illuminée
    Seul je descends avec amour.

    « Ouvre-toi, Sésame...

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    Tu seras éternellement,
    Qu’on te nomme esprit ou matière ;
    Cette vie est un court moment
    De l’existence tout entière.

    Prends une pierre et brise-la,
    Prends les morceaux, mets-les en poudre :
    La même pierre est toujours là,
    Tu ne peux rien que la dissoudre ;

    Livre ton âme à des amours
    Qui la brisent et l’exténuent :
    Elle...

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    Le phare sent mourir ses lueurs argentées,
    Et du golfe arrondi les pentes enchantées
    Vont se dorer dans l’aube où le regard les perd.
    Les villages marins dorment. L’Océan vert,
    Qui n’a pas de sommeil, fait sa grande descente.
    Il réclame son lit, et de loin gémissante
    L’onde écume ; elle accourt, s’écroule en s’étalant,
    Couvre le fin tapis du...