Mélanges (Prudhomme)/Pan

 
Je vais m’asseoir, l’été, devant les plaines vertes,
Solitaire, immobile, enchanté de soleil ;
Ma mémoire dans l’air par d’insensibles pertes
Se vide ; et, comme un sphinx aux prunelles ouvertes,
Je dors étrangement, et voici mon sommeil :

Ma poitrine s’arrête et plus rien n’y remue ;
La volonté me fuit et je n’ai plus de voix ;
Il entre dans ma vie une vie inconnue,
Ma figure demeure et ma personne mue :
Je suis et je respire à la façon des bois.

Mon sang paraît glisser en imitant la sève ;
J’éprouve que ce monde est vraiment suspendu ;
Quelque chose de fort avec lui me soulève ;
Le regard veille en moi, mais tout le reste rêve.
O Nature, j’absorbe et je sens ta vertu !

Car je suis visité par le même génie
Qui court du blé des champs aux ronces des talus ;
Avec tes nourrissons je bois et communie ;
L’immense allaitement, source de l’harmonie,
Je l’ai goûté, ma mère, et ne l’oublierai plus.

Oh ! que j’avais besoin de t’embrasser, ma mère,
Pour mêler à mon pain ton suc universel,
Ton âme impérissable à mon souffle éphémère,
Et ton bonheur fatal à ma libre misère,
Pour aimer par la terre et penser par le ciel !

Collection: 
1865

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