• Aux hommes de mon temps je rêve un cœur hanté
    Par quelque grand projet d’envergure superbe,
    Tel que les bons géants qui sommeillent sous l’herbe
    En concevaient aux temps féconds de l’équité.

    Et, prenant mon désir pour la réalité,
    Comme à Lazare mort un jour parla le Verbe,
    Je leur dis : Levez-vous, car voici que la gerbe
    Du froment de justice est mûre...

  • Ses cheveux sont rougis d’un flot de sang vermeil ;
    De ses lèvres en fleur s’envole un dernier râle ;
    Ainsi qu’un lis fauché, le jeune héros pâle
    Dort, sur des étendards, de l’éternel sommeil.

    Le chapelain, de l’âme évoquant le réveil,
    Devant le trépassé chante de sa voix mâle ;
    Les rudes lansquenets, tout bronzés par le hâle,
    Entourent, à genoux, le...

  • J’aimais autrefois la forme païenne ;
    Je m’étais créé, fou d’antiquité,
    Un blanc idéal de marbre sculpté
    D’hétaïre grecque ou milésienne.

    Maintenant j’adore une Italienne,
    Un type accompli de modernité,
    Qui met des gilets, fume & prend du thé,
    Et qu’on croit Anglaise ou Parisienne.

    L’amour de mon marbre a fait un pastel,
    Les yeux...

  • En la trentième année, au siècle de l’épreuve,
    Étant captif parmi les cavaliers d’Assur,
    Thogorma, le Voyant, fils d’Élam, fils de Thur,
    Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve,
    A l’heure où le soleil blanchit l’herbe & le mur.

    Depuis que le Chasseur Iahveh, qui terrasse
    Les forts & de leur chair nourrit l’aigle & le chien,
    Avait...

  • Déesse, dis comment ce fut le Roi, ton fils,
    Guerrier pareil aux Dieux, qui façonna jadis
    La Cithare, pieux vainqueur du fleuve sombre,
    Puis inventa les Chants soumis aux lois du Nombre,
    Envolés & captifs & gardant leur trésor
    Comme un voile fermé par une agrafe d’or !
    Le soir baignait de feux les cimes du Rhodope.
    Ces grands monts désolés que...

  • Non, plus pour aujourd’hui, plus de grandes pensées,
    De saintes questions à la hâte embrassées,
    D’énergiques efforts, d’élans fiers & hardis.
    Mon esprit est lassé, mes doigts sont engourdis.
    L’automne est la saison des rêves, nous y sommes,
    Elle parle ; rêvons, & laissons là les hommes,
    Leur bruit & leur destin. Prenons à notre choix
    L’un...

  • O nymphe Thalia, tu naissais ! Frais & verts,
    Les clairs feuillages sous les rayons semblaient rire ;
    Le mot Joie en tes yeux divins pouvait se lire,
    Et sur son chariot Thespis chantait des vers !

    On voyait dans son ode, au bord des flots divers
    Le faune poursuivant la faunesse en délire.
    Et Silène endormi, ronflant comme une lyre
    Sur son âne...

  • Quand celle dont la grâce en mon âme est empreinte
    M’a dit, un peu craintive & riant de sa crainte,
    Qu’elle s’était piquée au doigt : « Tenez, voyez ! »
    Lorsque j’ai vu, parmi ses autres doigts ployés,
    A l’annulaire qui dans ma main tremble & bouge,
    Une goutte de sang perler brillante & rouge,
    Avant que mon esprit troublé ne raisonnât,
    Mes...

  • Un savant visitait l’Égypte ; ayant osé
    Pénétrer dans l’horreur des chambres violettes
    Où les vieux rois thébains, en de saintes toilettes,
    Se couchaient sous le roc profondément creusé,

    Il vit un petit pied de femme, mais brisé
    Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.
    Le baume avait saigné le long des bandelettes,
    Le henné ravivait les doigts d’...

  • Canut, dominateur du vaste océan noir,
    Souverain absolu de toute l’Angleterre,
    Conquérant redouté des princes de la terre,
    Canut sur le rivage une fois vint s’asseoir.

    En présence des grands il se mit là pour voir
    Si la puissance humaine était une chimère,
    Un souffle, une fumée, un nuage éphémère.
    Le sage apprit bientôt ce qu’il voulait savoir ;

    ...