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    Quand on aura fermé ma bière
    Comme ma bouche et ma paupière,
    Que l’on inscrive sur ma pierre :
    ― « Ci-gît le roi du mauvais sort.
    « Ce fou dont le cadavre dort
    « L’affreux sommeil de la matière,
    « Frémit pendant sa vie entière
    « Et ne songea qu’au cimetière.
    « Jour et nuit, par toute la terre,
    « Il traîna son cœur solitaire
    « ...

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    L’Espérance est un merle blanc
    Dont nous sommes la triste haie :
    Elle voltige sur la plaie
    Et siffle au bord du cœur tremblant.

    Mais son vol n’est qu’un faux semblant ;
    Sa sérénade n’est pas vraie.
    L’Espérance est un merle blanc
    Dont nous sommes la triste haie.

    Et tandis que, rapide ou lent,
    Le Désespoir est une orfraie
    Dont...

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    Plein de très vieux poissons frappés de cécité,
    L'étang, sous un ciel bas roulant de sourds tonnerres,
    Étale entre ses joncs plusieurs fois centenaires
    La clapotante horreur de son opacité.

    Là-bas, des farfadets servent de luminaires
    À plus d’un marais noir, sinistre et redouté ;
    Mais lui ne se révèle en ce lieu déserté
    Que par ses bruits...

  • On guette dans la multitude
    La fuite de tous ses instants.
    Au contraire, on fige le temps
    En pratiquant la solitude.

    À constamment voir le tableau
    Du monotone impérissable,
    On vit l’herbe, le grain de sable,
    Le rocher, le nuage et l’eau.

    L’âge vient à si petits pas
    Qu’il semble qu’on n’assiste pas
    À ses lentes métamorphoses :

    ...
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    À force de songer, je suis au bout du songe ;
    Mon pas n’avance plus pour le voyage humain,
    Aujourd’hui comme hier, hier comme demain,
    Rengaine de tourment, d’horreur et de mensonge !

    Il me faut voir sans cesse, où que mon regard plonge,
    En tous lieux, se dresser la Peur sur mon chemin ;
    Satan fausse mes yeux, l’ennui rouille ma main,
    Et l’...

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    Au creux de mon abîme où se perd toute sonde,
    Maintenant, jour et nuit, je vois luire deux yeux,
    Amoureux élixirs de la flamme et de l'onde,
    Reflets changeants du spleen et de l’azur des cieux.

    Ils sont trop singuliers pour être de ce monde,
    Et pourtant ces yeux fiers, tristes et nébuleux,
    Sans cesse en me dardant leur lumière profonde
    ...

  • Je vis un gros corbeau, déployant son orgueil,
    Qui jouait de la griffe et claquetait des ailes
    À terre, avec un bruit de lugubres crécelles.
    Et je me dis : « C’est le grand deuil ! »

    Un peu plus loin, je vis, m’épiant d’un coup d’œil,
    Une pie occupée à s’aiguiser le bec,
    ...

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    Notre âme, ce cloaque ignoré de la sonde,
    Transparaît louchement dans le visage humain ;
    — Tel un étang sinistre au long d’un vieux chemin
    Dissimule sa boue au miroir de son onde.

    Si la face de l’homme et de l’eau taciturne
    Réfléchit quelquefois des lueurs du dedans,
    C’est toujours à travers des lointains très prudents,
    Comme un falot perdu...

  • Par la traverse et par la route,
    Il abat kilomètre et lieue ;
    Et, quand il rentre à sa banlieue,
    Il est si tard qu’il n’y voit goutte.

    — Dans les prés, un troupeau qui broute ;
    Sur les buissons, un hoche-queue.
    Par la traverse et par la route,
    Il abat kilomètre et lieue.

    À son aspect, le chien veloute
    Sa langue, en remuant la queue ;...

  • Une nuit, — vous allez bien sûr être incrédule, —
    J’étais au coin du feu, lorsqu’en me retournant,
    Je vis debout dans l’ombre un hideux revenant.
    Minuit sonnait alors à ma vieille pendule.

    — « Me reconnais-tu, hein ? » dit-il en ricanant !
    Et son ricanement fit un bruit de capsule.
    Il ajouta : « je suis le fantôme d’Ursule :
    « Je te parlais d’amour...