Ruines

 
« Et des larves de murs
sous des spectres de tours. »
VICTOR HUGO

J’ai vu comme l’on voit quelquefois dans un rêve,
Une immense Cité près d’une immense grève,
Avec des dômes d’or et des palais géants,
Des temples incrustés de mille diamants,
Que quatre grands Lions aux roussâtres crinières,
Menaçant le soleil de leur têtes altières,
Depuis quinze cents ans, immobiles, gardaient.
Et celle ville-là, des peuples l’habitaient.
Faisant retenir l’air de leurs clameurs joyeuses
Où l’Océan mêlait ses voix tumultueuses.
... Plus tard j’ai repassé devant cette cité,
Et voulant la revoir, je m’y suis arrêté ;
Mais à peine mes pas ont foulé sa poussière
Que devant mes regards elle s’est tout entière
Écroulée ― et n’est plus qu’une ruine immense
Dont le cri des Vautours trouble seul le silence.

J’ai vu dans un jardin une brillante Fleur ;
De l’amour elle avait emprunté la couleur,
Et mille papillons voltigeant autour d’elle,
L’effleuraient en passant d’un baiser de leur aile.
Un Rossignol, caché dans ses légers rameaux.
Lui chantait, radieux, tous ses chants les plus beaux,
Et même osait parfois, plein d’allégresse folle.
Poser son bec rosé sur la rose corolle.
... Plus tard j’ai repassé devant le beau jardin.
Je voulais voir la fleur, connaître son Destin ;
Mais elle n’était plus que ruine légère
Et le rossignol mort reposait sur la terre.

J’ai vu l’Homme mortel, debout, superbe et grand,
Lever la tête au Ciel et marcher confiant ;
Beau comme le Soleil, tout baigné de lumière,
Il semblait être un dieu ! ― n’était qu’un éphémère.
... Plus tard j’ai repassé pour le revoir encor.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un fantôme de mort,
Une ruine affreuse en une solitude
Où quelques noirs Serpents vivent en quiétude.

J’ai vu tout l’Univers de splendeur rayonnant
Et le crus immortel, puisqu’il était si grand.
... Illusion ! lui-même, hélas ! ruine immense,
Errera quelque jour dans l’éternel Silence
Des déserts azurés, entraînant avec lui
Tous ces vivants d’hier, décombres aujourd’hui.
Et dans quelque infini, porte d’un autre Espace,
Il ira s’engouffrer sans laisser nulle trace.

Hélas ! et c’est en vain que j’ai partout cherché
Un lieu qui ne fût point par la mort entaché.
Partout sur mon chemin, des Spectres et des Ombres,
Des vestiges détruits sous des profondeurs sombres
Ont surgi devant moi, puis m’ont dit lentement :
« Il n’est que l’INCONNU qui ne soit pas néant. »

Juin 1879

Collection: 
1881

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