Les tueurs de bisons ont terminé leur chasse.
Après avoir posté, de peur du loup vorace,
Des gardiens qui devront protéger les blessés
Et veiller sur les grands animaux terrassés,
Les Métis ont repris le chemin de la tente,
Où les femmes, tremblant des émois de l’attente,
Ont préparé pour eux un copieux repas.
Bien qu’ils soient harassés, que leurs chevaux soient las,
Ils vont à toute bride et dévorent la plaine.
Déjà les feux du camp, avivés par l’haleine
De la brise du soir, qui commence à souffler,
A leurs regards chercheurs viennent d’étinceler
À travers de grands foins ondoyants qui bruissent.
Déjà des garçonnets au-devant d’eux bondissent,
― Légers comme des faons qui prennent leurs ébats ―
Agitant leurs bonnets, poussant de longs hourras,
Auxquels, comme un écho, répond, de proche en proche,
En des cris délirants, la bande qui s’approche ;
Et bientôt, débouchant du noir fourré d’un val,
Les habiles tireurs descendent de cheval,
Longuement salués de clameurs éclatantes.
Par les femmes servis à la porte des tentes,
Les hommes, affamés, mangent à belles dents,
Sous l’aveuglant éclat de grands brasiers ardents
Tout à l’heure allumés pour chasser les moustiques.
Ils sont joyeux, ils sont verbeux, taquins, caustiques,
A tout instant changeant de pose et de propos,
Et supputant déjà la somme que les peaux
Leur devront rapporter au comptoir de la traite.
Le repas terminé, les fiers chasseurs, en fête,
Auprès d’un feu nouveau cuisant de nouveaux mets,
À la mode des Cris, fument leurs calumets,
Et ne tarissent pas sur la course acharnée
Dont le succès marqua la fin de la journée ;
Et de hardis marksmen exaltent leurs exploits.
Par moment les Métis parlent tous à la fois.
Chaque enfant les écoute et les fixe, en extase,
Chaque femme, réjouie, en verve, jase, jase,
Brûlante du désir de voir lever le camp,
Pour aller éparer, faire le pémican,
Soigner ceux qu’a cloués au sol quelque blessure.
Le temps passe. Minuit approche en l’ombre obscure,
Et les vaillants chasseurs, restés toujours Français,
Ne cessent de vanter l’éclat de leur succès,
Et de robustes mains à tout moment s’étreignent.
Cependant par degrés les longs propos s’éteignent
Avec les feux, dont l’âme ardente en cet instant
Ne jette dans la nuit qu’un reflet tremblotant.
Dans le désert tout dort, le vent, la feuille, l’aile.
Et, comme va mourir la dernière étincelle
Du dernier grand bûcher sans braise et tout noirci,
Plus d’un songe au sommeil, mais plus d’un songe aussi
À remercier Dieu de l’abondante chasse
Dont la plaine longtemps conservera la trace ;
Et bientôt, au milieu du calme solennel
Qui tombe de l’azur immaculé du ciel,
Où les étoiles d’or épanchent leur lumière,
Récitée en commun, la dolente prière
De ces naïfs enfants des déserts canadiens
― Chez qui toujours survit la foi des jours anciens
Et qu’on voit prosternés sous leurs abris de toiles ―
S’exhale vers le temple infini des étoiles.