Il ne vous connaît pas ! - Du fond de vos ténèbres,
Esprits des nuits à qui tout astre est importun,
Pourquoi donc l’assaillir de vos clameurs funèbres ?
Entre la Muse et vous est-il rien de commun ?
Sereine, sa pensée habite une autre sphère !
Quand il regarde en haut, vous regardez en bas !
Pour vous voir, il lui faut abaisser la paupière :
Donc que lui voulez-vous ? - Il ne vous connaît pas !
De l’inique orgueilleux dont la haine l’honore
Si son vers a puni l’altière impunité,
Son âme, lyre intègre à la fibre sonore,
A pour muse invoqué l’auguste Vérité.
Écho, juge et témoin des douleurs de la terre,
Le poète a le droit d’absoudre ou de punir !
Ce qu’il chante, il l’a vu ! C’est par sa bouche austère
Que le siècle présent parle au siècle à venir !
A nos vices drapés, il arracha leur voile.
Il n’a rien dit de faux ! il n’a rien fait d’impur !
Sa muse, blanche sœur de la plus blanche étoile,
Peut lever devant tous un front superbe et sûr !
Il ne vendit jamais, dans une lâche ivresse,
Au Mal riche et puissant un hommage odieux ;
Mais, disciple inspiré du Sage de la Grèce,
Sur leur pourpre usurpée il conspua vos dieux !
Non ! non ! il n’ira point ramper sous votre culte,
Brûler sur vos autels un idolâtre encens !
Pour ces dieux imposteurs à qui sa verve insulte,
Sa lèvre aura toujours d’implacables accents !
N’attendez pas de lui qu’il change de langage !
Sans cesse il flétrira ce qu’ont flétri ses vers :
Il maudissait hier vos dieux et l’esclavage,
Il maudira demain et vos dieux et vos fers !
Mais si d’un vers ardent qui parfois se déchaîne
Il a d’un joug cruel flétri l’iniquité,
Son cœur a plus d’amour que vos cœurs n’ont de haine :
Le saint oubli des maux, ses lèvres l’ont chanté !
Aux pieds d’un Dieu de paix il convia les âmes ;
Lui-même il y brûla pour encens ses douleurs ;
Et de la haine en vous pour éteindre les flammes,
Heureux, il donnerait son sang avec ses pleurs !
Silence, âmes sans foi par l’orgueil seul guidées,
Qui toujours vous raillez de tout espoir divin !
Assis dans le néant de vos vieilles idées,
A son rêve étoilé vous insultez en vain !
L’oiseau, roi de la nue et des hauteurs sublimes,
Qui sait près du soleil se bâtir un séjour,
Reste sourd aux clameurs de l’oiseau des abîmes
Dont les yeux cherchent l’ombre et maudissent le jour !
Prenez-vous-en au siècle, et non point à sa lyre !
L’esprit des temps futurs vous parle en ses discours.
O misérable effort d’une tourbe en délire,
Qui voudrait entraver un siècle dans son cours !
Abîmé dans son œuvre et ses vastes pensées,
Il s’avance à vos cris sans ralentir ses pas,
Et, toujours impassible à vos voix insensées,
Il marche, il vous emporte, - il ne vous entend pas !