Émile Verhaeren

  • Le site est floconneux de brume
    Qui s'épaissit en bourrelets,
    Autour des seuils et des volets,
    Et, sur les berges, fume.

    Le fleuve traîne, pestilentiel,
    Les charognes que le courant rapporte;
    Et la lune semble une morte
    Qu'on enfouit au bout du ciel....

  • - Dans la ville d'ébène et d'or,
    Sombre dame des carrefours,
    Qu'attendre, après tant de jours,
    Qu'attendre encor ?

    - Les chiens du noir espoir ont aboyé, ce soir,
    Vers les lunes de mes deux yeux,
    Si longuement, vers mes deux yeux silencieux,
    Si...

  • Lys tranquille, Lys douce et lente
    Dont le vent berce, aux bords, les herbes et les plantes,
    Vous entourez nos champs et nos hameaux, là-bas,
    De mille et mille méandres,
    Pour mieux tenir serrée, entre vos bras,
    La Flandre.

    Et vous allez et revenez,
    ...

  • Quelqu'un m'avait prédit, qui tenait une épée
    Et qui riait de mon orgueil stérilisé :
    Tu seras nul, et pour ton âme inoccupée
    L'avenir ne sera qu'un regret du passé.

    Ton corps, où s'est aigri le sang de purs ancêtres,
    Fragile et lourd, se cassera dans chaque effort...

  • En ces heures de vice et de crime rigides,
    Se rêve un meurtre ardent, que la nuit grandirait
    De son orgueil - plafond d'ébène et clous algides -
    Et de la toute horreur de sa noire forêt,
    Là-bas, quand, parmi les ombres qui se menacent,
    Au clair acier des eaux, un glaive...

  • Sous le fuligineux étain d'un ciel d'hiver,
    Le froid gerce le sol des plaines assoupies,
    La neige adhère aux flancs râpés d'un talus vert
    Et par le vide entier grincent des vols de pies.

    Avec leurs fins rameaux en serres de harpies,
    De noirs taillis méchants s'...

  • Vivons, dans notre amour et notre ardeur,
    Vivons si hardiment nos plus belles pensées
    Qu'elles s'entrelacent harmonisées
    A l'extase suprême et l'entière ferveur,

    Parce qu'en nos âmes pareilles,
    Quelque chose de plus sacré que nous
    Et de plus pur, et de plus...

  • Oh ! tes si douces mains et leur lente caresse
    Se nouant à mon cou et glissant sur mon torse
    Quand je te dis, au soir tombant, combien ma force
    S'alourdit, jour à jour, du plomb de ma faiblesse !

    Tu ne veux pas que je devienne ombre et ruine
    Comme ceux qui s'en...

  • Et qu'importe d'où sont venus ceux qui s'en vont,
    S'ils entendent toujours un cri profond
    Au carrefour des doutes !
    Mon corps est lourd, mon corps est las,
    Je veux rester, je ne peux pas ;
    L'âpre univers est un tissu de routes
    Tramé de vent et de lumière ;
    ...

  • Au soir tombant, lorsque déjà l'essor
    De la vie agitée et rapace s'affaisse,
    Sous un ciel bas et mou et gonflé d'ombre épaisse,
    Le quartier fauve et noir dresse son vieux décor
    De chair, de sang, de vice et d'or.

    Des commères, blocs de viande tassée et lasse,
    ...