D'où vient cela que l'envieuse rage,
Qui les coeurs ronge, entreprend de blâmer
Mes ans oisifs, et les vers un ouvrage
D'un pauvre esprit et paresseux nommer,
En m'accusant que je ne suis la trace,
Étant dispos, de mes nobles aïeux,
Qui ont conquis par la poudreuse place
Et par le sang maint loyer vertueux ?
Ou bien pourquoi me reprend-elle d'être
Si peu soigneux d'étudier la loi,
Pour l'aller vendre au palais, qui fait naître
Un bruit confu et mercenaire aboi ?
Telle entreprise en vain tant estimée
Ne fuit de mort les accidents divers;
Mais j'aurai bien une autre renommée
Dont je vivrai sans fin en l'univers.
Pindare vit et du divin Horace
Encores n'est aboli le renom,
Et ne mourra jamais la haute grâce
Du Mantouan, célèbre par son nom.
Qui priserait d'Achille la vaillance,
Si le poète aveugle n'eût tranché
L'aile envieuse à l'endormi silence,
Dessous laquelle il fût sans lui caché?
Qui nous ferait admirer la sagesse
Le tant divin et prévoyant esprit
Du caut Ulysse, honoré par la Grèce,
S'il n'était vu dépeint au même écrit?
Pendant qu'amour d'une flèche dorée
De la jeunesse enflammera les coeurs,
Des amoureux la plume enamourée,
Vivra toujours entre cent mille honneurs.
Du vieil Ennie et de Vare sans cesse
Le grand renom immortel se dira,
Et les beaux vers de ce hautain Lucrèce
Lors périront quand ce tout périra.
Le style aussi du doux coulant Ovide,
Tout doucement par nombres mesuré,
Jamais de gloire et los ne sera vide,
Contre le heurt de tout temps assuré.
De quoi le Loir, de quoi s'enfle la Loire,
Sinon du bruit débordant en tous lieux
De son Ronsard et du Bellay, sa gloire,
Pour les porter d'ici là-haut aux cieux?
Doncques, pourquoi ne pourrai-je bien être
L'honneur du Maine et de Sarthe nommé,
Pour avoir un des premiers fait connaître
En ce lieu-là le luc bien animé?
Que tous les rois et leur gloire étoffée
Cèdent adonc aux hommes bien disants,
Dont les écrits leur haussent un trophée
Pour se venger du long oubli des ans.
Que l'ignorant prise la chose basse;
Mais le mari des Muses bien appris,
Aura toujours cette hautaine grâce
Qu'il ne voudra que celle de grand prix.
Quant est de moi, rien plus je ne souhaite
Que d'Apollon me voir favoriser,
Et pour me voir son excellent poète,
Pouvoir de l'eau d'Hélicon épuiser;
A celle fin qu'une belle couronne
Ceigne mon front de laurier couronné,
Et que l'honneur qu'aux beaux écrits on donne
Soit quelquefois à mon livre donné.
Pendant qu'on vit, la pâlissante envie
Des bons esprits aboie le renom :
Mais tôt après, se finissant la vie,
On leur voit rendre un perdurable nom.
J'espère bien, mêmes après l'audace
Et de la mort et du temps oublieux,
Que mes écrits gagneront quelque place,
Malgré l'aboi de ces chiens envieux.