L'après-midi
Un soleil éclatant sur les murs de Paris
Répand du haut des cieux son magique souris,
Vidant les ateliers en habits du dimanche,
La population comme un fleuve s'épanche.
Culottes de velours, casquette, gros souliers,
Veste ronde, voilà nos larges charpentiers ;
Un peu roides de corps, mobiles du visage,
L'oeil d'aplomb, la voix rude et le style sauvage ;
Au Petit Ramponneau pour prendre leur repas,
Une main dans la poche, ils redoublent le pas ;
Humant avec bonheur le très cher brûle-gueule...
Leurs femmes, disons-le, n'ont pas l'esprit bégueule :
Jupe courte, bas blancs, tablier fin, croix d'or,
Accortes, se riant du chétif mirliflor,
Bien loin de gourmander le bon garçon qui fume,
A l'odeur du tabac leur amour se parfume.
Ouvriers charpentiers, j'aime votre fierté ;
Votre coeur poétique épris de liberté.
J'aime, pardonnez-moi, vos femmes rondelettes
Et sans morgue ; partant, sans nul souci d'aigrettes.
Je les aime surtout lorsque dans le chemin,
Courant au mendiant que le plaisir repousse,
Elles laissent tomber une parole douce
Et le sou du Seigneur dans le creux de sa main.
Serruriers, forgerons, maçons, tailleurs de pierre,
L'artisan du chantier, celui de la carrière,
Sous de verts acacias que les vents font trembler,
Au repas fraternel accourent s'attabler
Pour charmer les ennuis d'une rude semaine,
Quand le septième jour dans ce lieu les ramène.
La table est de sapin, sans doute, mais dessus
Brille un morceau de veau qui baigne dans le jus ;
Mais à l'extrémité de ces planches grossières
Figure un vaste plat de rouges parmentières,
Et Jeannette, l'Hébé du bruyant cabaret,
Apportant broc sur broc d'un petit vin clairet
Par elle baptisé sans dispense du pape,
Sait leur faire oublier l'absence de la nappe ;
Car, fraîche et réjouie, elle répond mieux qu'eux
Aux ris entrecoupés de propos graveleux.
Vous, heureux, qui bâillez dans vos palais de marbre,
Le coeur vide où s'efface un rêve d'amitié,
Vos plaisirs, faux rubis, inspirent la pitié
A ces bons compagnons attablés sous un arbre ;
Leur appétit gaillard mange tout et sans choix ;
Ce dîner, gras pour eux, pour vous serait bien maigre ;
Mais l'amitié, qui fuit la demeure des rois,
Là s'attarde et sourit près d'un pot de vin aigre.
L'artisan des lambris, en habit, linge fin,
Triste représentant du spectre de la faim,
Le plus déshérité du produit de nos treilles,
Exténué, tué par de trop longues veilles,
Avec sa douce femme, avec ses blonds enfants
Tous chétifs, mais proprets, courent à travers champs.
Que de privations durent être subies
Pour ce peu de toilette ; et combien d'insomnies,
De fatigues, de soins, de soucis, de tracas
Eut cette pauvre mère à préparer gants, bas,
Robes et mouchoirs blancs ! en secret que de jeûnes
Pour avoir des colliers bénits aux deux plus jeunes !
Bonnes gens ! puisse Dieu, touché de votre foi,
Vous laisser le petit... qu'il m'a repris à moi !
Le soir, las de fouler gazon, herbe nouvelle,
La famille avec joie aborde une tonnelle
Pleine d'ombrage frais et vert du haut en bas ;
Puis la femme économe acquitte le repas ;
L'homme sourit au vin, l'enfant au confortable,
Et la félicité, qui rend l'espoir aimable,
Leur fait rêver à tous un siècle plus humain.
Hélas ! à ce beau jour quel triste lendemain !