Vue d’un cimetière de campagne

 
Le Mois voluptueux, par nos champs attendu,
Sur l'aile des zéphyrs du ciel est descendu :
Il s'avance, il sourit à la nature entière :
Ses longs cheveux, tressés de fleurs et de lumière,
Exhalent, dans les airs, les parfums les plus doux,
La terre, avec transport, reçoit son jeune époux,
Et laisse au loin flotter, sur le lit d'Hyménée,
Sa robe d'émeraude aux vents abandonnée.
Les arbres, entourés de festons éclatants,
Balancent à la fois leurs panaches flottants :
Tout s'éveille, tout rit d'amour et d'allégresse,
Et pourtant je ne sais quelle vague tristesse
De ces riants berceaux semble éloigner mes pas ;
Mes yeux sont satisfaits et mon cœur ne l'est pas.
Le jour fuit..... approchons de ce temple rustique,
Dont la mousse et les ans ont noirci le portique.
Le soleil qui s'éteint, sur les sombres vitraux,
Verse la pourpre et l'or de ses feux inégaux.
Quel silence ! Observons cette enceinte profonde,
Seul avec ma pensée et le maître du monde.
C'est là que des étés redoutant la fureur,
À genoux et priant, le pauvre laboureur
Au sort de ses moissons intéresse Dieu même ;
Et ses vœux écoutés par le juge suprême,
Montent, comme l'encens, au palais éternel.
Quand du septième jour le repos solennel,
Proclamé par l'airain, règne dans ces campagnes,
Suivis de leurs enfants, suivis de leurs compagnes,
Tous ces bons villageois, la paix au fond du cœur,
Viennent prêter l'oreille au discours du pasteur,
Qui des simples vertus leur retraçant l'image,
À d'un ange du ciel la voix et le langage ;
Sa parole nourrit la veuve et l'orphelin.
Mais bientôt, revêtu de son habit de lin,
Il unit, par les nœuds d'une propice chaîne,
Le couple qu'à ses pieds un chaste amour amène ;
Une pompe charmante alors pare ces lieux ;
Des festons enlacés par un zèle pieux
Serpentent sur les murs du champêtre édifice.
Belle de ses quinze ans, fraîche sans artifice,
Et baissant vers la terre un front plein de candeur,
La jeune amante espère et rougit de pudeur ;
Un bandeau fastueux n'entoure point sa tête ;
Elle n'apporte pas à cette simple fête
Un trésor bien souvent par le crime obtenu,
Sans richesse, elle a tout : sa dot est la vertu.
Allez, heureux amants, couple toujours fidèle,
D'un hymen sans nuage offrez-nous le modèle.
Que l'ange du seigneur, vous prenant par la main,
Puisse de votre vie aplanir le chemin,
Jusqu'à l'heure où la mort.... mais, triste et solitaire,
D'où peut venir en moi ce trouble involontaire ?
La mort !... son vaste enclos près du temple s'étend ;
Je veux à mes regrets m'y livrer un instant.
L'if et le pin funèbre, associant leurs ombres,
Jusqu'au pied des tombeaux m'ouvrent des routes sombres.
Non loin de moi, des fleurs, des arbres, des ruisseaux
Confondent leurs parfums, leurs feuillages, leurs eaux ;
Des chantres du printemps la foule réunie
Anime les bosquets d'une douce harmonie ;
La sève de la vie, en rapides torrents,
Court inonder les bois, les vallons odorants ;
La colombe gémit sous la verte ramée.
Entendez-vous au loin, dans la plaine embaumée ;
Les génisses beugler, et mugir les troupeaux ?...
Là tout est mouvement, ici tout est repos.
À peine un vent léger ride, par intervalle,
L'herbe haute couvrant la pierre sépulcrale.
Tout se tait, rien ne veille, et mon souffle et mes pas
Troublent seuls le silence et le deuil du trépas.
Habitants de ces lieux, quel sommeil vous enchaîne !
Hélas ! En ce moment, et le mont et la plaine,
Et ces bois que l'hiver naguère, en son courroux,
Avait sous les frimas endormis comme vous,
Et ces fleurs dont l'éclat venait de disparaître,
Tout s'éveille, se pare, et prend un nouvel être.
Et vous jadis les rois de ce vaste univers,
Vous ne partagez plus tant de bienfaits divers ;
Vous ne soulevez pas cette pierre immobile,
Qui presse de son poids votre couche d'argile.
Homme, songe de gloire et de félicité,
C'est donc là que finit ta vaine autorité ?
Du moins ceux qu'à mes pieds le sommeil environne,
N'ont pas à regretter l'éclat d'une couronne.
Un pain noir et grossier composait leur festin,
Et leur trépas sans doute embellit leur destin :
La paix est avec eux ; les remords, les alarmes
De leurs derniers moments n'ont pas troublé les charmes.
Illustres inconnus, bénissez votre sort ;
Heureux qui, comme vous, obscurément s'endort ;
De vos humbles vertus la récompense est prête.
Le ciseau du sculpteur, la lyre du poëte,
De vos jours disparus fêtant le souvenir,
N'ont pas à votre gloire attaché l'avenir.
Mais vous vivez au cœur d'une épouse éplorée ;
Comme celle des rois votre cendre est sacrée ;
Vous n'avez point péri sur des bords étrangers.
C'est au sein de vos champs, non loin de vos vergers,
Et du toit où votre oeil s'ouvrit à la lumière,
Que repose aujourd'hui votre froide poussière.
Vos membres, pour jamais de douleurs affranchis,
Pressent de vos aïeux les ossements blanchis.
Tous les ans, quand l'automne et l'humide froidure
Dépouillent les coteaux d'un reste de verdure,
Vos enfants, vos amis, penchés sur vos tombeaux,
Vous apportent des pleurs et des regrets nouveaux ;
Leur foi pure et sincère est sans doute exaucée....
Plein de ces grands objets, ma rêveuse pensée
Au départ du soleil ne songe point encor.
Son disque, enseveli dans un nuage d'or,
De ses derniers rayons a salué la plaine :
De la mort, à mon tour, saluons le domaine.

Collection: 
1790

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