Qu'il est puissant, cet Etre architecte des mondes,
Qui, peuplant du chaos les ténèbres fécondes,
Fit éclore le jour, fit bouillonner les mers,
Alluma le soleil, dessina l'univers ;
Et de ces astres d'or roulant dans leur carrière,
Prodigua, sous ses pieds, la brillante poussière !
Où commence, où finit le travail de ses mains ?
Vers quels lieux inconnus des fragiles humains,
De la création accomplissant l'ouvrage,
A-t-il dit aux esprits qui lui rendent hommage :
« Enfants du ciel, ici s'arrêtent mes travaux ;
Je n'enfanterai plus de prodiges nouveaux ? »
Nuit, de tant de trésors sage dépositaire,
Qui portes dans ton sein le monde planétaire,
Dis-moi, ne puis-je voir le monarque éternel
Assis dans son repos auguste et solennel ?
Et vous, au char du pôle étoiles attelées,
Toi, brillant Orion, vous, pléiades voilées,
Où faut-il diriger mes pas et mon ardeur,
Pour contempler ce dieu dans toute sa splendeur ?
Mais en vain, chaque nuit, mon zèle vous implore ;
Dans ces lieux qu'embellit une éternelle aurore
Vous voyez votre maître, et ne trahissez pas
Le secret de l'enceinte où s'impriment ses pas.
L'enfant de Sybaris veille encore dans l'ombre :
Est-ce pour admirer les prodiges sans nombre
Qu'étale, à nos regards, la splendeur de la nuit ?
Non, non ; la volupté, dont l'attrait le séduit,
Le promène au milieu de ses fêtes impies.
De profanes beautés, rivales des Harpies,
Se disputent son or, l'abreuvent tour-à-tour
Du filtre, des poisons d'un impudique amour ;
Et le soleil, levé pour éclairer le monde,
Le retrouve abruti par la débauche immonde.
Arrête, malheureux ! Si ton cœur abattu
N'est pas sourd à ma voix et mort à la vertu,
Lève les yeux au ciel, qu'épouvante ton crime,
Et contemple, avec moi, sa majesté sublime.
S'il te faut des parvis et des dômes brillants
Où l'or se mêle aux feux des cristaux vacillants,
Viens sous la voûte immense où Dieu posa son trône ;
Et pour Jérusalem renonce à Babylone.
Vois l'astre au front d'argent : son éclat tempéré
Charme ton oeil vers lui mollement attiré :
Plus doux que le soleil il caresse ta vue,
Et te laisse jouir d'une scène imprévue.
Vois comme ses rayons tremblent sur les ruisseaux,
Mêlent l'albâtre au vert des jeunes arbrisseaux,
Se glissent, divisés, à travers le feuillage,
Et blanchissent au loin les roses du bocage.
Du globe des vivants, du terrestre horizon,
Détache, à cet aspect, ton cœur et ta raison ;
Suis mes pas sans effroi : viens ; nouveaux Prométhées,
Dérobons tous leurs feux aux voûtes argentées ;
Et, nous applaudissant de ce noble larcin,
Réveillons la vertu qui dort en notre sein.
Entre au fond du brasier où la foudre s'allume,
Où de l'éclair naissant bouillonne le bitume ;
Mesure sans pâlir, dans son orbe trompeur,
Cet astre vagabond qu'exagère la peur ;
Qui, les cheveux épars et la queue enflammée,
S'offre comme un fantôme à la terre alarmée.
Dans son horrible éclat, vois un ciel orageux ;
Ou plutôt, affranchi du tourbillon fangeux
Qui pesait sur ton âme et la tenait captive,
Dans un ciel tout d'azur que ta vue attentive,
S'égarant, au hasard, de beautés en beautés,
Compte du firmament les berceaux enchantés.
L'allégresse, l'amour, dans ton cœur se confondent.
Tu viens parler aux cieux, et les cieux te répondent.
Quels sublimes objets ! Quel luxe ravissant !
Le jour n'a qu'un soleil à l'horizon naissant ;
Et de mille soleils la nuit est éclairée.
Mille astres à ma vue interdite, égarée,
Épanchent â la fois des torrents lumineux
Qui, sans les fatiguer, éblouissent mes yeux.
Innombrables soleils, vous planètes errantes,
Et de lois et de mœurs familles différentes,
Qu'importe, dites-moi, cet amas fastueux ?
Palais aérien, temple majestueux,
Loges-tu l'éternel ?... insensé ! Quelle audace !
Dès que je nomme Dieu, toute pompe s'efface.
L'univers, comme un point, disparaît devant moi,
Et le sujet se perd dans l'éclat de son roi.
Faut-il donc s'étonner qu'aux jours de l'ignorance,
Ces astres, qui des dieux offrent la ressemblance,
Aient usurpé l'encens des crédules mortels ?
Le sage, dans son cœur, leur dresse des autels,
Et, contemplant du ciel la majesté suprême,
Au milieu de la nuit se demande à lui-même :
« Quel art dut présider à ce dôme éclatant,
Sur un fleuve d'azur, sans orage flottant ?
Rien dans tous ses rapports n'annonce l'indigence.
La sagesse, le choix, l'ordre, l'intelligence,
Savamment confondus, brillent de toutes parts ;
Un seul lien unit tant de mondes épars.
Ô surprise ! Tandis qu'un mouvement rapide
Les emporte à travers cet océan limpide,
Que tout part, va, revient, se balance, s'étend,
Roule, vole, et se suit dans un ordre constant,
Quel silence profond règne sur la nature !
Quelle main de ces corps éleva la stature ?
Quel invisible bras, par la force conduit,
Sema d'or et de feux les déserts de la nuit,
De ces astres roulants étendit la surface,
Et versa leurs rayons au milieu de l'espace,
Plus nombreux mille fois que les sables des mers,
Les perles du matin, les flocons des hivers,
Et tous ces flots qu'au sein des villes consumées
Promène l'incendie aux ailes enflammées ?
C'est en vain que l'impie ose élever la voix,
Et, dépouiller encor l'éternel de ses droits.
Oui, la religion est fille d'Uranie ;
Tout d'un dieu créateur atteste le génie.
Il est sans doute un chef qui, sous ses pavillons,
De ce peuple étoilé range les bataillons.
Guerriers du tout-puissant, ministres de sa gloire,
Leurs mains à ses drapeaux attache la victoire.
Quel oeil pourrait les suivre en leur brillant essor ?
Des casques de rubis pressent leurs cheveux d'or ;
De saphirs immortels rayonne leur armure ;
Leurs rangs aériens, sans trouble, sans murmure,
S'étendent par milliers dans l'éther radieux,
Et veillent, en silence, à la garde des cieux. »
Et l'homme, incessamment témoin de ces spectacles,
Pour croire à l'éternel demande des miracles !....
Des miracles ! Ingrat, contemple l'univers.
Mais au brillant aspect de ces globes divers,
Je ne sais quel délire a passé dans mon ame ;
Je me crois enlevé sur des ailes de flamme,
Et, du sein de la terre, élancé vers les cieux,
Le globe des vivants disparaît à mes yeux.
J'ai franchi de la nuit l'astre mélancolique ;
Je touche au voile d'or, au voile magnifique,
Qui des mondes lointains me cachait la grandeur.
Perdu dans ces rayons d'éternelle splendeur,
Je m'égare à travers des soleils innombrables,
De vie et de chaleur foyers inépuisables.
Que vois-je ! Un long espace, un désert enflammé !....
Sans doute du grand roi le trône accoutumé
S'élève dans ces lieux.... vain espoir qui m'abuse !
À se montrer déjà l'éternel se refuse :
Il est encor plus haut, par-delà les soleils,
Par-delà tous les cieux et leurs palais vermeils.
Arrêtons un moment.... aussi bien ma paupière
Ne s'ouvre qu'à regret et fuit tant de lumière.
Commandons, s'il se peut, à mes sens effrayés.
Quel amas d'univers sous mes pas déployés !
Que d'astres radieux, de sphères vagabondes !
Me voici seul, debout sur le sommet des mondes.
Invisibles témoins de mon secret effroi,
Habitants de ces bords, parlez, rassurez-moi.
Dans ce monde où bientôt dormira ma poussière,
L'homme ne vit qu'un jour de trouble et de misère ;
Les yeux à peine ouverts, il gémit et pressent
Les ennuis du séjour qu'il habite en passant,
Vous que déjà mon cœur chérit sans vous connaître,
Si loin du grain mouvant où le ciel me fit naître,
Partagez-vous, hélas ! Notre funeste sort ?
De douleurs en douleurs marchez-vous à la mort ?
Mais sans doute, étrangers aux passions humaines,
Un sang aérien fait palpiter vos veines.
Vous ne connaissez pas nos besoins renaissants,
Tous ces fougueux désirs, orages de nos sens.
Aussi pur que le ciel qui vous sert de ceinture,
Chacun de vous respire et nage à l'aventure,
En des flots lumineux, dont la foudre et les vents
Respectent le cristal et les trésors mouvants....
Eh quoi ! Vous m'entendez et n'osez me répondre !
Que votre voix s'élève et vienne me confondre,
Si dans ma folle erreur, multipliant les cieux,
Je tends, vers l'infini, mon vol audacieux.
Que dis-je ? Et qui pourrait, sans crime et sans blasphème,
Assigner quelque borne à l'artisan suprême ?
S'il créa d'un seul mot l'atome et l'univers,
N'a-t-il pu s'entourer de cent mondes divers ?
Mon âme aime à le croire : ici-bas exilée,
Elle vole en espoir dans la sphère étoilée,
Sous ces berceaux d'azur, à travers ces jardins
Où rayonnent la pourpre et l'or des séraphins.
Mortel qui, dans la nuit majestueuse et sombre,
Contemples, loin de moi, ces prodiges sans nombre,
Tous ces milliers de cieux, miroir éblouissant
Où vient se réfléchir le front du tout-puissant,
Oh ! Que le grand destin promis à ta noblesse,
Fasse battre ton cœur d'une saine allégresse ;
Reconnais du très-haut le bienfait paternel ;
Ces mondes passeront, toi seul es éternel.
Oui, toi seul.... mais où suis-je ? Et quel rayon m'éclaire !
L'avenir se dévoile à mon oeil téméraire ;
Tout s'émeut.... tout frémit.... dans l'espace arrêté,
Le temps même suspend son vol précipité.
Voici l'heure dernière ; une voix qui menace,
La voix du dieu vivant tonne au sein de l'espace :
« Fils des hommes, sortez de la profonde nuit ;
Le grand jour est venu ; l'éternité vous luit. »
Alors du fond des bois, des eaux et des vallées,
Les générations se lèvent désolées ;
Et deux rideaux de flamme, au même instant ouverts,
Offrent, dans sa splendeur, le roi de l'univers.
Sur un trône flottant, où l'or pur étincelle,
Il repose, entouré de sa garde fidelle ;
Dans sa main resplendit le glaive lumineux ;
Vingt soleils, à ses pieds, rassemblent tous leurs feux ;
Ses habits sont semés d'étoiles flamboyantes ;
Et l'éther réfléchit leurs clartés ondoyantes.
Mais le fatal arrêt est déjà prononcé ;
De la création le prodige a cessé.
L'homme seul, des tombeaux secouant la poussière,
Superbe, revêtu de force, de lumière,
S'élève et va s'asseoir dans le palais divin ;
Sur sa tête immortelle éclate un jour sans fin.
Tandis qu'à son bonheur les harpes applaudissent,
Que de l'hymne d'amour tous les cieux retentissent ;
Quel spectacle ici-bas ! Mille sombres vapeurs
Des astres de la nuit éclipsent les lueurs.
L'océan mutiné soulève les orages,
Gronde dans tous ses flots, franchit tous ses rivages.
Les montagnes, les tours, les temples, les cités,
Dans l'abîme des eaux croulent de tous côtés ;
Les cieux sont des volcans ; mille éclairs en jaillissent ;
Mille foudres rivaux se croisent et rugissent ;
Tous les enfants de l'air, turbulents, vagabonds,
S'échappent, à la fois, de leurs antres profonds,
Se heurtent en courroux, et d'une aile hardie
Aux plus lointains climats vont porter l'incendie.
Les astres, arrachés de leurs axes brûlants,
Du sommet de l'éther l'un sur l'autre roulants,
Nourrissent de leurs feux la flamme universelle ;
Déjà brille et s'éteint la dernière étincelle.
Fuyons, fuyons la mort.... mais la mort est partout ;
Sur l'univers détruit son fantôme est debout.
Dans l'antique chaos la nature retombe ;
Toute une éternité va peser sur sa tombe.
Dieu chasse devant lui, comme de vains brouillards,
La poudre des soleils dissous de toutes parts ;
Et, porté sur un char où sa colère gronde,
Il passe, et, dans sa course, il efface le monde.
Mais quel astre, étalant son écharpe d'albâtre,
Blanchit des vastes cieux le pavillon bleuâtre ?
Laissez-moi contempler, du front de ces coteaux,
Ce disque réfléchi qui tremble sur les eaux.
Liée à nos destins par droit de voisinage,
La lune nous échut à titre d'apanage
Et l'éternel contrat qui l'enchaîne à nos lois,
D'un vassal, envers nous, lui prescrit les emplois :
Par elle nous goûtons les douceurs de l'empire.
Des traits brûlants du jour quand le monde respire,
Tributaire fidèle, en reflets amoureux,
Elle vient du soleil nous adoucir les feux ;
Tantôt brille en croissant, tantôt lui tout entière,
Et commerce, avec nous, et d'ombre et de lumière.
Cet astre au front mobile, en voyageant dans l'air,
Obéit à la terre, et commande à la mer ;
Ramène de Thétis la fièvre régulière,
Et balance ses flots sur leur double barrière.
Dans un cercle inégal mesurant chaque mois,
La lune, autour de nous, marche et luit douze fois ;
Et son pas suit de près les pas de notre année.
Satellite paisible, elle nous fut donnée
Pour dissiper des nuits la ténébreuse horreur,
Et cette obscurité, mère de la terreur.
Tandis que le soleil, éclairant d'autres mondes,
Ne laisse sur ses pas que des ombres profondes,
Ô Phébé ! Dévoilant ton char silencieux,
Vers les monts opposés lève-toi dans les cieux ;
Sur le dôme étoilé que ton éclat décore,
Le soir, fais luire aux yeux une plus douce aurore ;
Et, remplaçant le jour qui par degrés s'enfuit,
Prends, de tes doigts d'argent, le sceptre de la nuit ;
De tes tendres clartés caresse la nature,
Rends leur émail aux champs, aux arbres leur verdure.
À travers la forêt, que ton pâle flambeau
Se glisse, et du feuillage éclairant le rideau,
À l'âme, en ses pensers doucement recueillie,
Révèle le secret de la mélancolie !
Quel demi-jour charmant ! Quel calme ! Quels effets !
Poursuis, reine des nuits, le cours de tes bienfaits ;
Protége de tes feux, et rends à son amante
Le jeune homme égaré sur la vague écumante ;
Au voyageur perdu dans de lointains climats
Prête un rayon ami qui dirige ses pas :
Tandis que le sommeil, les songes, le silence,
Doux et paisible essaim qui dans l'air se balance,
Planent près de ton char, et composent ta cour.
Centre de l'univers et monarque du jour,
Le soleil, cependant, immense, solitaire,
Dans son orbe lointain voit rouler notre terre.
Il échauffe, il nourrit de ses jets éclatants
Ces globes, loin de lui, dans le vide flottants,
Et les animant tous de ses clartés fécondes,
De ses rênes de feu guide et retient les mondes.
Lui seul, de l'univers supportant le fardeau,
Il en est le foyer, et l'axe, et le flambeau ;
En tournant sur lui-même il échauffe sa masse,
Et dispense ses feux jusqu'aux bords de l'espace ;
Ardent, inépuisable en sa fécondité,
Inébranlable, et fixe en sa mobilité.
Soleil ! Astre sacré, contemple ton empire !
Tout vit par tes regards, tout brille, tout respire :
Souverain des saisons, le monde est ton palais,
Les globes sont ta cour, et le ciel est ton dais.
Notre terre, à tes yeux, sans fin se renouvelle,
Et roulant nos débris sur sa route éternelle,
Le temps emporte tout, mais il ne t'atteint pas.
Les révolutions, longs tourments des états,
Ébranlent notre globe et te sont étrangères ;
Tu n'es jamais troublé du bruit de nos misères ;
Et ton front, toujours calme, éclaire les tombeaux
Des peuples dont tu vis s'élever les berceaux.
Qui pourrait s'égaler à ta vaste puissance ?
Ta présence est le jour, la nuit est ton absence.
La nature sans toi, c'est l'univers sans dieu.
Père de la lumière, et des vents, et du feu,
Renfermant, dans les plis de ta robe éclatante,
Le rubis, l'émeraude, et l'opale inconstante,
D'une pluie à jets d'or inonde l'univers ;
Et, la décomposant dans le prisme des airs,
Nuance des saisons la mobile ceinture ;
Suspends, au front des bois, un réseau de verdure ;
Et, prodiguant partout un luxe de couleurs,
Dore, argente ou rougis le panache des fleurs ;
Donne un habit de neige au lis qui vient d'éclore,
Et l'arc-en-ciel au paon, et la pourpre à l'aurore ;
Et garde pour les cieux ce pavillon d'azur,
Ce manteau de saphir d'où s'échappe un jour pur,
Et que la vaste mer réfléchit dans son onde :
Voilà comme, par toi, se décore le monde.
Oh ! De quel saint transport mon cœur est agité !
Grand astre ! Quand tes feux dans l'air ont éclaté,
Soleil, quelle est ta pompe ! Oui, lorsque ta lumière,
Symbole radieux de ta beauté première,
Enflamme les forêts, les monts et les déserts,
Brille, et se multiplie en flottant sur les mers,
Je crois voir, de Dieu même, au sein de son ouvrage,
Partout se réfléchir la glorieuse image ;
Et, dans l'ombre du soir, ton globe moins ardent
Vient-il à se pencher aux bords de l'occident ;
Qu'avec respect encor j'y retrouve l'emblême
Du souverain moteur, lorsqu'il fixa lui-même
À la création un terme limité,
Et rentra dans la nuit de son éternité.