J’ai pris l’étroit sentier qui contourne l’arête
Du grand mont incliné sur les flots clairs et bleus ;
Je suis, au bout d’une heure, arrivé sur la crête,
Et je me suis assis sur le sol onduleux.
Puis j’ai prêté l’oreille aux murmures étranges
Qui venaient lentement expirer jusqu’à moi,
Bourdonnements, sanglots, rires, vagues mélanges,
Auxquels l’âme répond sans s’expliquer pourquoi.
Elle tressaille et vibre, et semble reconnaître
Ce langage mystique et tout harmonieux ;
Une douleur intense envahit tout son être,
Elle cherche le sens des mots mystérieux.
C’est comme une chanson dès longtemps désapprise,
Qui tout à coup résonne à notre cœur charmé,
Et lui fait essayer, dans sa douce surprise,
D’unir encor sa voix à ce chant bien-aimé.
Mais l’air seul est venu troubler nos rêveries ;
Le sens à tout jamais pour nous s’est effacé :
Nous ne retrouvons plus les paroles chéries
Et les cherchons en vain dans l’ombre du passé.
Chaumont, 15 juillet 1882.