Sentier perdu

 
Sur la montagne étrange et sombre
Il est un sentier attrayant,
Que l’on voit serpenter dans l’ombre
Sous le feuillage verdoyant ;

Les pins aux aiguilles légères
Lui font un dôme immense et frais ;
Sur ses bords croissent les fougères,
Ces dentelles de nos forêts.

Mais parfois sa trace est couverte
De brindilles et de rameaux ;
Les mûriers et l’épine verte
S’y déroulent en longs anneaux ;

Les branchages touffus des chênes
Y tamisent un jour moelleux,
Et les glands roux mêlés aux faines
Germent sur le sol onduleux.

Bientôt il devient plus sauvage.
L’herbe y croît dans un jet plus fort,
De grands troncs barrent le passage,
L’on n’y marche qu’avec effort,

Et, sous un dédale de ronce,
D’aubépines aux fourrés épais,
On le voit soudain qui s’enfonce
Pour ne reparaître jamais.

Au delà, la haute ramure
Etroitement se réunit :
Rien ne frémit, rien ne murmure
Sous cette ombre au calme infini.

Hélas ! que d’êtres sur la terre,
— Ils n’ont jamais été nombrés ―
Comme le sentier solitaire,
Se sont dans le monde égarés !

Que d’êtres au cœur plein de joie,
De tendresse et de noble essor,
Ont vu soudain finir leur voie
Dans le grand calme de la mort !

Bevaix, 2 novembre 1882.

Collection: 
1886

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