Prologue pour une Comédie enfantine

Dames et seigneurs, je vous mène
De joyeux et naïfs acteurs :
Nous n’avons ni triste Chimène
Ni capitans provocateurs.

Pas même Arlequin ni Cassandre ;
Et la Colombine aux yeux doux,
Malgré sa voix rieuse et tendre,
Est encor trop grave pour nous.

Nous sommes des ducs et des comtes
En noble manteau de velours,
Et des rois comme ceux des contes,
Et des gardes aux sabres lourds.

Mais nous traînons nos broderies
Dans la rosée et les gazons,
Aimant les grands lys des prairies
Plus que les lys de nos blasons.

Parmi les prêles et les berles
Nous courons, princes puérils,
Qui préférons les nids de merles
Aux joyaux d’or et de béryls.

Et malgré perruques Régence,
Bas de soie et gants parfumés,
Las ! nos acteurs ont peu de chance
De vous plaire ; car vous aimez

Plus que nos rois pilleurs de mûres
Les seigneurs qui disaient tout bas
Aux dames, en de lents murmures,
Des mots que nous ne savons pas.

Pourtant il vous faut, nobles dames,
Oubliant les vers triomphants,
Écouter sans rire les drames
De nos comédiens enfants.

Car, malgré vos mélancolies,
Vous écoutez bien quelquefois
Tous ces grands diseurs de folies,
Nos amis les oiseaux des bois.

Collection: 
1890

More from Poet

  • Maintenant j'ai revu les moissons oubliées,
    Et, dans la paix des soirs pleins de saines senteurs,
    Les rudes moissonneurs, près des gerbes liées,
    Croisant leurs bras avec des gestes de lutteurs.

    Maintenant j'ai revu les forêts et les plaines
    Et j'ai marché dans les...

  • En son manteau d'argent tissé par les prêtresses,
    La vierge s'en allait vers les jeunes cités,
    Et la nuit l'effleurait de mystiques caresses,
    Et le vent lui parlait de longues voluptés.

    Or, c'était en un siècle où les rois faisaient taire
    Les joueurs de syrinx...

  • Tu parlais de choses anciennes,
    De riches jardins somnolents
    Que de nobles musiciennes
    Troublent, le soir, d'échos dolents ;

    Et de chapelles où s'attardent
    Les princesses en oraison ;
    Et de lits féodaux que gardent
    Toutes les bêtes du blason.

    ...

  • C'est un soir calme, un soir de fête.
    En bas, dans le noir, vers Paris
    A peine encore quelque faîte
    D'église perce le soir gris.

    Puis les ombres amoncelées
    Submergent les derniers clochers,
    Et je pense aux mers contemplées
    Autrefois du haut des rochers...

  • Cette nuit, au-dessus des quais silencieux,
    Plane un calme lugubre et glacial d'automne.
    Nul vent. Les becs de gaz en file monotone
    Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.

    Et, dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes
    Ont le son des échos qui se meurent,...