L'âme mièvre

Maintenant j'ai revu les moissons oubliées,
Et, dans la paix des soirs pleins de saines senteurs,
Les rudes moissonneurs, près des gerbes liées,
Croisant leurs bras avec des gestes de lutteurs.

Maintenant j'ai revu les forêts et les plaines
Et j'ai marché dans les pâturages herbeux ;
Ma gorge a respiré les puissantes haleines
Qui montent du sol roux blessé par les grands boeufs.

Mais, comme un empereur parmi les foules viles,
Je suis passé dans la campagne, indifférent ;
Car toujours, en mon coeur, l'impur amour des villes
Chantait plus haut que la forêt et le torrent.

Dans les routes des bois et dans les fraîches sentes,
Les augustes frissons des vieux arbres hautains
Ne me faisaient songer qu'à des robes absentes,
Et les ciels me faisaient regretter les satins.

Quand un vent balsamique arrivait des vallées,
J'avais des souvenirs pervers de parfums lourds ;
Et les soleils épars dans les nuits constellées
N'étaient pour moi que des bijoux sur du velours.

Collection: 
1878

More from Poet

  • Maintenant j'ai revu les moissons oubliées,
    Et, dans la paix des soirs pleins de saines senteurs,
    Les rudes moissonneurs, près des gerbes liées,
    Croisant leurs bras avec des gestes de lutteurs.

    Maintenant j'ai revu les forêts et les plaines
    Et j'ai marché dans les...

  • En son manteau d'argent tissé par les prêtresses,
    La vierge s'en allait vers les jeunes cités,
    Et la nuit l'effleurait de mystiques caresses,
    Et le vent lui parlait de longues voluptés.

    Or, c'était en un siècle où les rois faisaient taire
    Les joueurs de syrinx...

  • Tu parlais de choses anciennes,
    De riches jardins somnolents
    Que de nobles musiciennes
    Troublent, le soir, d'échos dolents ;

    Et de chapelles où s'attardent
    Les princesses en oraison ;
    Et de lits féodaux que gardent
    Toutes les bêtes du blason.

    ...

  • C'est un soir calme, un soir de fête.
    En bas, dans le noir, vers Paris
    A peine encore quelque faîte
    D'église perce le soir gris.

    Puis les ombres amoncelées
    Submergent les derniers clochers,
    Et je pense aux mers contemplées
    Autrefois du haut des rochers...

  • Cette nuit, au-dessus des quais silencieux,
    Plane un calme lugubre et glacial d'automne.
    Nul vent. Les becs de gaz en file monotone
    Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.

    Et, dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes
    Ont le son des échos qui se meurent,...