Ode

 
O vous que j’ai aimée aux jours de ma jeunesse
                         D’un sombre amour,
O Forêt, vous étiez la sœur de ma tristesse
                         Et son séjour !

Lorsque le renouveau de vos feuilles naissantes
                         Chantait au vent,
Que l’Automne parait vos cimes bruissantes
                         D’un or mouvant,

Quand, fraîche d’espérance et lourde encor de gloire,
                         Votre beauté
Paraissait tour à tour l’annonce ou la mémoire,
                         De votre Eté,

Au lieu d’unir mon cœur à votre âme profonde
                         Mêlée en lui,
Je vous portais mes pleurs et ma peine inféconde
                         Et mon ennui.

Je ne respirais pas votre odeur saine et forte,
                         A plein poumon ;
Il me semblait partout traîner des feuilles mortes
                         A mon talon.

Vous étiez patiente au bruit sous la ramée
                         De mon pas lourd ;
Pardon de vous avoir, ô ma Forêt, aimée
                         D’un sombre amour !

Ce n’est plus celui-là maintenant que j’éprouve,
                         Ce n’est plus lui,
Et, lorsque dans votre ombre encor je me retrouve,
                         Comme aujourd’hui,

Je sens votre vigueur, vos baumes et vos forces
                         Entrer en moi,
Et le Dieu qui l’habite entr’ouvre votre écorce
                         Avec son doigt.

Comme vous, chêne dur, je garde dans la terre
                         Qui la nourrit
Ma racine secrète, obscure et nécessaire ;
                         Mais mon esprit,

Au-dessus de mon corps qui pousse son tronc rude,
                         Balance au vent
Sa ramure déjà que l’automne dénude...
                         Arbre vivant,

Qu’importe que le temps ou l’hiver ou la hache,
                         Par son milieu,
L’attaque, si déjà sous l’écorce se cache,
                         En l’homme, un Dieu !

Collection: 
1884

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