Le Parnasse contemporain/1869/Dieu

C’est une heure d’angoisse indicible, que l’heure
Où, las de nos désirs sans cesse démentis,
Nous voulons, maudissant la vie extérieure,
Rentrer dans l’idéal d’où nous étions sortis.

Car, désaccoutumés par notre ingratitude
Des charmes de l’idée & de l’amour des dieux,
Nous ne retrouvons plus la sévère habitude
Des graves sentiments & des pensers pieux.

Ainsi qu’en un désert nous errons en nous-mêmes,
Et, fouillant du regard les horizons lointains,
Nous nous épouvantons de voir que nos blasphèmes
Se sont réalisés dans nos mauvais destins.

Tandis qu’autour de nous l’horreur de la tempête
Redouble les combats du tonnerre & du vent,
Nous marchons, ayant peur de retourner la tête
Vers le geste de Dieu qui nous pousse en avant.

La caravane, après un lent désert torride,
Trouvera l’oasis, pleine de chants d’oiseaux,
Où le svelte palmier baigne d’une ombre aride
Le parfum du lotus qui fleurit sur les eaux.

Ainsi nous parviendrons, après un long voyage,
Au paradis lointain promis à nos aïeux ;
Nous réaliserons l’espérance des sages
Et nous accomplirons la parole des dieux.

Les horizons profonds, que nul regard ne sonde,
Derrière le brouillard ténébreux & vermeil,
Gardent à nos désirs la jeunesse d’un monde
Où nous rajeunirons sous un plus beau soleil.

Là, dans l’effusion des clartés éternelles,
Nous nous reposerons avec sérénité,
Et les siècles, présents au fond de nos prunelles,
Seront la vision de l’immortalité.

Voici les temps venus, que l’histoire révèle.
Nul mystère étoile n’obscurcit le ciel bleu,
Et l’homme, créateur de l’époque nouvelle,
Sent s’apaiser en lui les angoisses de Dieu !

Collection: 
1971

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