Le Parnasse contemporain/1866/La Maîtresse du Titien

O fille de Palma ! Violente adorée,
Poëme que Titien jusqu’à sa mort chanta,
Œuvre folle des Dieux par le soleil dorée
Comme un pampre lascif qu’arrose la Brenta !

Fleur de la volupté, splendide Violante,
Ton nom vient agiter le corps avant le cœur,
Tu soulèves l’amour sur ta lèvre brûlante,
Où les pâles désirs s’abattent tout en chœur.

O fille de l’antique et de la Renaissance,
Espoir des dieux nouveaux, souvenir des anciens.
Païenne par l’éclat et la magnificence,
Histoire en style d’or des cœurs vénitiens,

Sur le marbre un peu blond de ton épaule altière,
Que j’aime tes cheveux à longs flots répandus !
Dans ces spirales d’or que baigne la lumière,
Que de fois en un jour mes yeux se sont perdus !

Palma faisait de toi sa plus pure madone,
La vierge de quinze ans t’adore en ses tableaux ;
Titien faisait de toi Madeleine qui donne,
Qui donne à ses amants son cœur à larges flots.

O femme, tour à tour chaste comme Suzanne
Et faible comme Hélène, — Idéal, Vérité, —
Viens me dire pourquoi, divine courtisane,
Pourquoi Dieu t’a donné cette ardente beauté.

C’est qu’il faut que le cœur à l’esprit s’harmonise ;
Titien cherchait encor les sentiers inconnus :
Pour qu’il eût du génie, ô fille de Venise !
Tu sortis de la mer comme une autre Vénus.

Dans tes yeux noirs et doux sa gloire se reflète ;
Car cet or qu’on croirait au soleil dérobé,
Ces prismes, ces rayons, ces fleurs de sa palette,
Par un enchantement, de tes mains ont tombé.

Oui, grâce à toi, Titien réalisa son rêve :
Sans l’amour à quoi bon les splendeurs de l’autel ?
Dieu commence l’artiste et la femme l’achève :
C’est par la passion qu’on devient immortel.

Collection: 
1971

More from Poet

  • Je retrouve là-bas le taureau qui rumine
    Dans le pré de Potter, à l'ombre du moulin ;
    - La blonde paysanne allant cueillir le lin,
    Vers le gué de Berghem, les pieds nus, s'achemine.

    Dans le bois de Ruysdaël qu'un rayon illumine,
    La belle chute d'eau ! - Le soleil...

  • N'avez-vous pas vu, drapée en chlamyde,
    Une jeune femme aux cheveux ondés,
    Qui prend dans le ciel son regard humide,
    Car elle a les yeux d'azur inondés ?

    Son front souriant qu'un rêve traverse
    N'est pas couronné, mais elle a vingt ans.
    Et sur ce beau front la...

  •  
    LE DÉPART

    Le printemps ! le printemps ! la magique saison !
    Le ciel sourit de joie à la jeune nature,
    L’aube aux cheveux dorés s’éveille à l’horizon,
    Dieu d’un rayon d’amour pare sa créature.

    Avril a secoué le manteau de l’hiver,
    Les marronniers...

  •  
    Moissonneuse éternelle en la vallée humaine,
    Qui n’as pas de repos au bout de la semaine,
    Qui fauches sans relâche et ne sèmes jamais,
    Où donc as-tu porté les épis que j’aimais ?
    — O géante maudite aux mamelles pendantes,
    Vieille fille ennuyée aux colères...

  • L’heure a sonné : j’ai vu s’enfuir la charmeresse
    Qui couronne l’amour et chante les vingt ans,
    Qui suspend des rayons à ses cheveux flottants,
    Et qui m’a dit adieu pour dernière caresse.

    J’ai suivi trop souvent la pâle chasseresse
    Sous les pampres brûlés, dans les...