Peut-être existe-t-il une âme sur la terre
Pour la mienne créée, et dont elle est la sœur :
Heureuse et fortunée, ou pauvre et solitaire,
Elle me comprendrait et lirait dans mon cœur.
Elle partagerait mes secrètes pensées,
Elle aurait mon amour, j’aurais toute sa foi ;
Sans cesse étroitement l’une à l’autre enlacées,
J’existerais pour elle, elle vivrait pour moi.
Nous ne nous ferions point de bruyante promesse,
Nous nous dirions beaucoup en nous parlant très peu ;
Un sourire, un regard, souvent une caresse,
Quelquefois un baiser, tendre et discret aveu.
Nous porterions ensemble et la joie et la peine,
La croix serait moins lourde et le bonheur plus pur,
Et nous achèverions notre carrière humaine.
Sûres de nous revoir au delà de l’azur.
Cette félicité n’est encore qu’un rêve
Déjà cent fois détruit, cent fois recommencé,
Et l’âme que j’espère et que j’attends sans trêve
Ne s’est point révélée à mon esprit lassé.
Peut-être que je l’ai déjà vue en ce monde,
Peut-être que mes yeux ont rencontré ses yeux,
Et dans le court espace, hélas ! d’une seconde,
Nos cœurs qui s’appelaient ont palpité joyeux.
Nous nous sommes trouvés bien près de nous connaître,
Nous avons été près de nous tendre la main…
Puis avec un soupir qui montait dans notre être,
Nous avons pris chacune un différent chemin.
Nous avons poursuivi la route solitaire,
Le cœur plein de tristesse et de vague regret,
Avec le sentiment que jamais, sur la terre,
Un semblable destin ne nous réunirait.
Bevaix, 27 septembre 1882.