Quand l'aigle, se berçant dans un essor sublime,
Plane loin de la terre au séjour éthéré,
Si son regard de roi descend sonder l'abîme
Qui se creuse sous lui dans un vide azuré,
A peine il aperçoit une crête élevée
De ces monts, qui semblaient d'un front audacieux
Porter du firmament la voûte soulevée ;
Tant il est haut le roi des cieux !
Ainsi quand ton génie aux voûtes éternelles
S'élance, en terrassant et l'esclave et les rois,
Et qu'il ouvre sur nous ses gigantesques ailes
Pour foudroyer d'en haut les tyrans et leurs lois ;
Dans sa sainte fureur, semblable au tendre père
Qui soustrait aux dangers les fils de son amour,
Sous toi, tu vois flotter comme une onde en poussière,
Les illustrations du jour.
Mais cloués sur la terre et cherchant dans les nues
L'homme qui si loin d'eux s'est assis sur les cieux,
Pleurant des vérités jusque alors inconnues,
Comme autant de serpents, ces lâches envieux
N'admirent qu'en jaloux l'astre de ton génie,
Et pareils à l'oiseau fait pour l'obscurité,
Qui, lorsque le jour vient, fuit et le calomnie,
Ils vont blasphémant ta clarté.
Leur bouche injurieuse a vomi son haleine
Impure sur ton nom auguste et révéré,
Mais le soleil inonde et dévore sans peine
La vapeur qui voilait son rayon éthéré.
Ils ont calomnié ta vie et tes pensées,
Dans ton âme ils ont mis leurs sombres passions,
Ingrats, ils ont jeté leurs craintes insensées
Sur le vengeur des nations.
Il ont dit ton cœur plein de haine et de colère,
De révolte, d'orgueil, de l'esprit des enfers ;
Pourquoi ? C'est qu'indigné, sur ces rois de la terre
Qui se disent des droits à nous donner des fers,
Tu t'es levé superbe, et qu'ébranlant les trônes
De ta puissante main, tu nous dit : « Au combats !
« Brisez ! foulez aux pieds ces fers et ces couronnes
« Qu'ont trop long-temps soufferts vos bras ! »
C'est que tu nous as dit : quand donc serez-vous libres ?
Peuple, jusques à quand seras-tu souffleté !
D'un cœur d'homme qui bat tu n'as donc plus les fibres !
Et puis tu nous fis voir l'auguste liberté
Dégageant ses beaux bras des fers et de leur fange,
Superbe, comme on doit la voir même au saint lieu,
Mais calme, pure avec un doux sourire d'ange,
Comme la fille de ton Dieu.
Ils ont dit ton cœur faux, ta parole inhumaine,
Que tu ne parlais pas comme parle ton cœur,
Et que tu ne cherchais qu'à réveiller la haine
Du petit pour le grand, du serf pour le seigneur ;
Et lorsque tu fais prendre à toute âme qui pense
L'horrible tyrannie en exécration,
Tous ces tyrans du jour craignant ton vol immense
Vont t'accusant d'ambition.
Mais qui donc leur a dit, pour régner sur la terre,
Que voudrait le génie abandonner les cieux,
Lui, dont la voix, semblable à celle du tonnerre,
Effraie et fait penser les peuples déjà vieux ?
Ils ont dit ton cœur faux ! — Cette pierre qui brille
Et sème des éclairs de son sein rayonnant,
Pourrait-elle darder cet éclat qui scintille
Si ce n'était un diamant ?
Ils t'en voudront toujours ! Mais de ta gloire altière
Les ombres de leur haine accroîtront la grandeur ;
Ainsi que ces brouillards qu'empourpre la lumière,
De l'astre à son lever rehaussent la splendeur ;
Et comme on voit une onde, errant sur nos rivages,
Du roc qu'en sa fureur long-temps elle a battu
Baiser les pieds, ainsi dans la suite des âges
Ils ramperont sous la vertu.
Mais tel qu'un exilé, sur ces plages lointaines,
Quand si loin de mon sol ton chant vint jusqu'à moi,
Triste je l'écoutais et regardant mes chaînes,
Je me pris aussitôt à pleurer avec toi :
Car je te comprenais. — Mais lorsque vint l'envie
Calomnier ton cœur qui pardonne et gémit,
Sans que pas un de tes chiens n'arrêtât sa furie .
J'ai dit : Je serai son ami !
Indigné, saisissant entre mes mains la lyre,
De mes lèvres alors ont jailli ces accents ;
Mais, hélas ! qu'a-t-il pu mon impuissant délire ?
Pour monter jusqu'à toi trop faible est mon encens ;
Semblable au bruit plaintif de ma vague africaine,
Qui, mourant sur les bords de nos rochers déserts,
Trop faible n'atteint pas la rive européenne
Et s'évapore dans les airs !
Ile Bourbon, Octobre 1854