Oui, les vivants sont sourds ; et leur langue inféconde
Ne connaît rien qu’un nom dont ils lassent le monde.
Mais l’écho d’Italie a mille et mille voix,
Quand Ravenne et Zara murmurent à la fois,
Quand la Brenta soupire au branle des gondoles,
Quand la rive s’endort au chant des barcarolles.
Alors le pèlerin s’arrête vers le soir,
Et pense : il faut prier. Le pêcheur va s’asseoir
À Fusine, en sa barque amarrée à la dune.
C’est l’heure où, s’affaissant sur la pâle lagune,
Le flot à l’autre flot dit, sans savoir pourquoi :
Venise, qu’as-tu fait ? Je veux gémir sur toi.
Puis, quand le flot se tait, le vieux gondolier chante,
Et, quand le jour se meurt, la cloche se lamente ;
Puis, comme fait une ombre après la fin du jour,
La foule au rialto passe et dit à son tour :
Venise, qu’as-tu fait ? Sous tes noires murailles
Qui chantera pour toi ton chant de funérailles ?
Puis le poëte passe après le gondolier,
Plus triste que le flot, en son pâle sentier,
Et dit : " j’éveillerai cette mer qui sommeille.
Ravenne, écoute-moi ! Zara, prête l’oreille !
Voici. Je vais chanter les paroles de deuil
Sur Venise la belle au bleuâtre cercueil.
Pourquoi le golfe est-il si triste sur la plage ?
Le golfe cache-t-il un mystère au rivage ?
Pourquoi la voile au loin, sur l’océan désert,
Pend-elle au pied des mâts, comme un linceul ouvert ?
Pourquoi ne voit-on plus, dans ses vagues stériles,
La lionne de mer bondir autour des îles ?
C’est que le jour a fui ; puis les ans, à leur tour,
Entraînant leur limon, ont passé comme un jour.
Autrefois d’Attila quand sur l’aire divine
Le fléau vint frapper la puissance latine,
La lionne de mer cachée en ses roseaux
Vers Fusine allaitait ses petits lionceaux.
Et les îles au loin, vers Corcyre et vers Zante,
Aboyaient dans ses mers, comme une meute ardente.
Mais le jour où, changeant de figure et d’esprit,
Le monde se souvint du sépulcre du Christ,
Ce jour-là vit bondir sur sa rive enhardie
La maîtresse des flots et son peuple amphibie.
Sa galère porta vers Rhodes et Sidon
Plus d’un roi pèlerin. Byzance apprit son nom.
Du coup que Dandolo frappa sur le Bosphore,
Césarée et Stamboul se lamentent encore ;
Et son fouet ramena sur son seuil ébranlé
Le quadrige de bronze à Corinthe attelé.
Reine de l’océan, elle était sans rivales,
Quand auprès du Lido ses sœurs orientales
La parèrent encor du mauresque turban.
Sa citerne s’emplit aux sources du Liban.
Dans son palais ducal les péris d’Arabie
Bâtirent sous son toit l’Alhambra d’Italie.
Toujours environné de ses lions béants,
Son doge alors montait l’escalier des géants ;
Puis, balançant entre eux sous sa main qui les frappe
L’Europe et l’Orient, l’empereur et le pape,
Empêchait que le monde, en sa lutte emporté,
Ne penchât trop longtemps d’un ou d’autre côté.
Aussi, quand Mahomet dans Rome circoncise
Pensa porter le pal, le glaive de Venise
Comme un regard du Christ dans Rhode étincela !
Sa cuirasse émoussa les javelots d’Allah ;
Et, comme au bord d’un nid une aile palpitante,
On vit bondir sa rame au combat de Lépante.
Puis, quand l’œuvre fut faite et son siècle passé,
Ainsi qu’un grand vaisseau sur l’écume bercé,
Tout chargé de butin, d’armes, de banderoles,
Qui revient jeter l’ancre à côté des gondoles,
Au vent des nations ne prêtant plus son bord,
Elle baissa la voile, et rentra dans le port.
Dans le port, au Lido, muette, solitaire,
Son ombre en chaque endroit enfermait un mystère.
Sous le balcon des dix souvent les flots meurtris
Avec l’algue roulaient des prières, des cris.
Mais du vieil océan rajeuni chaque année,
Le vieux doge épousait la vague couronnée.
Et Venise chantait, assise au bord de l’eau.
" Il me sera fidèle, il a pris mon anneau.
Non : l’écume n’est plus inconstante au rivage ;
L’abîme ne ment pas quand il baise la plage.
Carthage, Sidon, Tyr, ne sont rien que néant ;
Mais moi je rajeunis autant que l’océan. "
Ainsi Venise au port chantait sa barcarolle…
Alors on entendit la trompette d’Arcole ;
Et l’on vit sur la grève, au loin, un homme errant,
Un muet messager qui passait en courant ;
Et son cheval lassé, qui portait sa fortune
Avec son frein rongeait l’herbe de la lagune.
Oh ! Non, ce n’était pas un obscur messager
Qui passait en courant. Sous un frein étranger
Son cheval écumait. Pâle était le nuage,
Plus pâle était la nuit, plus pâle son visage !
Sa tête s’inclinait sous son propre fardeau ;
Et la terre après lui sonnait comme un tombeau.
Sa main pouvait briser un peuple en son étreinte,
Les hommes à son nom étaient saisis de crainte,
Et pensaient : " Quel est-il ? Il n’est point comme nous.
Il n’aime ni ne hait comme nous faisons tous."
Car son âme brûlait ainsi que l’incendie
Qui se cache au grand jour sous sa cendre attiédie.
Seulement, quand le vent balayait dans le sang
L’écharpe aux trois couleurs qui lui ceignait le flanc,
Oh ! Ses yeux flamboyaient d’une flamme bleuâtre,
Comme une lampe antique à la voûte d’albâtre ;
Et sa pensée alors, de son ciseau profond,
Fouillait comme un sculpteur le marbre de son front.
Sa bouche en aucun temps ne s’ouvrait pour sourire.
S’il était jeune ou non, quel mot pourrait le dire ?
Et de ses premiers ans qui se souvient encor ?
Les métaux, comme sont l’airain, le bronze, ou l’or,
Dans le creuset durcis, connaissent-ils leur âge ?
Chez lui joie et douleur avaient même visage.
Et pourtant, si les ans, ou rares ou nombreux,
Et non les actions, font l’homme jeune ou vieux,
Quoique au fond de son cœur vieux par les destinées,
Oui, sans doute, il était jeune par les années.
Mais trop tôt des combats l’ardent soleil avait
De sa joue hâve et creuse emporté le duvet.
Terrible vendangeur, aux jours de vendémiaire
On disait que déjà sur le cep populaire
Son glaive avait cueilli le fruit des nations.
Mais, quoi qu’il eût d’abord fait en d’autres saisons,
Ces temps étaient passés ; et la terre frivole
Ne se rappelait rien que la moisson d’Arcole.
Or, dès que son cheval eut approché du bord,
L’immense mer sourit au messager de mort ;
Venise dans son cœur dit : " Mon heure est venue. "
Et, de son trône vide à grands pas descendue,
Venise commença de pousser des sanglots
Comme une naufragée en regardant les flots.
Et son empire fut comme l’algue marine
Que l’enfant du pêcheur ramasse à Palestrine.
Son vieux lion, au loin, mourant, cherchait en vain
Le désert de Libye et son sable africain.
Les vagues le raillaient, secouant leur crinière,
Et les flots rugissants lui creusaient sa tanière.
Alors, comme un fardeau vivant que dans la nuit
Les doges sous les ponts faisaient noyer sans bruit,
Vingt siècles en un jour s’engloutirent ensemble.
Au loin la mer soupire, au loin la rive tremble ;
La mer berce la barque, et la barque s’endort.
Un peuple a disparu… qui se souvient du mort ?
Les gondoliers dormaient quand dormaient les gondoles ;
La brise autour des mâts roulait les banderoles.
Pas une sentinelle au canal Orfano
Ne veillait à cette heure ; et puis l’humide anneau
De l’épouse des mers s’est brisé de lui-même…
L’océan est si grand, et la nuit est si blême !
Demain qui pourra dire, en voyant son azur,
Ce qu’il cache en son lit quand son lit est si pur ?
Sous le pont des soupirs quel œil peut voir un monde ?
Quelle oreille entendra sous la vague profonde
Sangloter un empire, et, comme les roseaux,
Les générations se plaindre sous les flots ?
Les gondoliers dormaient ; mais là-bas, sur la plage,
Un homme était debout, qui sondait le naufrage ;
Et le vent des combats dénouait en jouant
L’écharpe aux trois couleurs qui ceignait ce géant.
Oh ! Non, ce n’était pas un messager vulgaire
Qu’on avait vu passer sur la rive, naguère.
Pars, messager, tout dort encor ;
Pars dans la nuit, au son du cor !
Au son du cor, pars : voici l’heure
Où sur son calice d’amour
Le rossignol palpite et pleure,
Où l’étoile éveille le jour,
Où l’aube, en sortant des nuages,
Surprend le secret des messages.
Pars, messager ; mon cœur te suit,
Et ta trace à mes yeux reluit.
Pourquoi n’est-tu pas l’hirondelle ?
Tu volerais là-bas comme elle ;
Puis tu verrais sur le chemin
Un capitaine au front d’airain.
Porte-lui ma lettre fermée,
Et de pleurs encore embaumée.
Joséphine à Napoléon.
Au milieu du bruit des cymbales,
Quand près de vous sifflent les balles,
Vous souvenez-vous de mon nom ?
Au milieu des cris d’une armée
Quand vous rêvez, est-ce de moi ?
Non, vous ne rêvez que fumée,
Que lourds canons, tente de roi.
Vous aimez d’amour votre épée,
À vos côtés de sang trempée,
Plus que votre femme, cent fois,
Sous ses rideaux pâle et sans voix.
Avez-vous fait vos fiançailles
Avec Arcole ou Rivoli,
Avec la vierge de Lodi,
Ou la vierge des funérailles ?
Avez-vous donc mis votre anneau
Au doigt sanglant de vos batailles,
Pour les aimer jusqu’au tombeau
Plus que vos sœurs et que vos frères ?
Que vous font mes larmes amères ?
Sitôt que votre étoile luit,
On dit que, le jour ou la nuit,
Vous êtes, depuis mon veuvage,
Là-bas, un lion de carnage.
Que je voudrais, de mon balcon,
Sur votre cheval de bataille
Vous voir passer, quand le clairon
Aux lèvres d’or crie et tressaille ;
Quand une ville tout en deuil
Pour vous met ses clefs sur le seuil ;
Quand votre écharpe se déplie,
Et que les femmes d’Italie
Sous les orangers vont s’asseoir,
Disant : " Qu’il était beau ce soir ! "
Est-il vrai que dans la poussière
Sur vos épaules ruisselants,
Vos longs cheveux traînent sanglants,
Comme d’un casque la crinière ;
Que sous l’ombre de Rivoli
Votre front encore a pâli ;
Et que la soif et le carnage
Ont tant maigri votre visage ?
Toutes les nuits je vous attends,
Et sans dormir je compte l’heure.
Toutes les nuits, sans vous, je pleure
Sitôt que grondent les autans.
Quand reviendrez-vous de la guerre ?
Pour recommencer vos combats,
Avez-vous donc de leur poussière
Ressuscité vos vieux soldats ?
Voulez-vous au bout de la terre,
Tout sanglants, sans pain, sans souliers,
Traîner ces fantômes à pieds
Dans votre fantôme de gloire ?
Pour me revoir attendez-vous
Que je me meure à vos genoux ;
Qu’à votre front chaque victoire
Mette une ride pour bandeau ;
Que vous ployiez sous le fardeau,
Ou qu’une blessure éternelle
Glace votre cœur plus froid qu’elle ;
Ou que vos grenadiers en deuil
Vous embaument dans le cercueil ?
Si vous m’aimez, quittez l’armée,
Quittez les camps et la fumée.
Je ne rêve, si je m’endors,
Que de hiboux, d’oiseaux des morts,
Je n’en puis dire davantage.
Ah ! Revenez, sinon je meurs.
Je vous écris avec mes pleurs.
Adieu ! J’attends votre message. "
Pars, messager, tout dort encor ;
Pars dans la nuit au son du cor !
Au son du cor, pars : voici l’heure
Où sur ma tente qu’elle effleure
L’étoile luit ; où mes soldats
Dorment sur l’herbe qui ruisselle ;
Où la vedette au parler bas
À dit : " Garde à vous, sentinelle ! "
Pars, messager, avant le jour.
L’étoile dort ; le vent sommeille ;
Le tambour bat, le camp s’éveille.
Pourquoi n’es-tu pas le vautour ?
Là-bas où l’horizon s’incline,
Tu porterais en bondissant
Ma lettre écrite avec du sang.
" Napoléon à Joséphine.
Sous vos rideaux ne pleurez pas :
Mon cœur ne bat dans ma poitrine
Qu’auprès de vous. Dans les combats,
Il est d’airain ; sous la mitraille,
Quand j’ai fait mon plan de bataille,
Le soir, sur l’affût d’un canon,
Je pense à vous. De votre nom
Je me souviens quand la pelouse
Du sang des morts baigne ses fleurs.
Non, non, d’Arcole et de ses sœurs
Jamais ne soyez plus jalouse :
Leurs jeux ne sont que jeux d’enfants,
De vierges aux fronts rougissants.
Ma tâche à peine est commencée,
Et déjà ma gloire est passée.
L’éternel a mis en ma main
Son marteau pour frapper la terre,
Et moi, sur le bord du chemin,
Je perds mon temps et mon salaire.
Sur le sentier que j’ai foulé
Pas un empire n’a croulé,
Et l’herbe croît sur ma victoire.
Dans le Nil ou dans le Jourdain
Je n’ai pas encor mené boire
Mon cheval aux sabots d’airain ;
Pendant qu’à mon âge Alexandre
Avait tari tout le Scamandre,
Ôté sa tiare au persan,
Son toit de marbre à Tyr en cendre,
Et son orgueil au mont Liban.
Si je retournais en arrière,
Tant qu’un soldat suivra mes pas
Pour vous rapporter ma poussière,
Vous me chasseriez de vos bras ;
Et de mon sabre qui se rouille
Vous me feriez une quenouille.
Quand il nous viendra des enfants,
Ils me renieront pour leur père,
Si dans leurs berceaux triomphants
À leurs pieds je ne mets la terre.
J’ai glané l’épi de la guerre
Que la faucille de César
Avait oublié par hasard
Dans le sillon de l’Italie.
L’Occident me gêne et m’ennuie :
Son maigre sol est sans engrais
Pour enraciner à jamais
L’arbre sanglant de mon génie.
Son écho trop vite est lassé,
Et son encens trop tôt passé.
Son vin amer trop vite enivre.
Il n’a qu’une page en son livre
Que le vent par le vent poussé,
Chaque jour, emporte et déchire
Avec le nom de son empire.
Le pays que j’aime le mieux,
C’est l’Orient aux vastes cieux :
Il a de hautes pyramides,
Et des monts de sables arides,
De vieilles villes de granit
Où mon aiglon fera son nid.
Il a des puits de renommée
Pour désaltérer mon armée,
Et l’écho des déserts béants
Pour des batailles de géants.
Là-bas des sphinx au front d’ivoire
Veilleront au pied de ma gloire,
De peur que les boucs du chemin
Ne rongent ses ongles d’airain.
Ma tente y sera mieux dressée :
C’est le pays de ma pensée.
Adieu. Je pars pour le désert.
Je n’en puis dire davantage.
En égypte où le Nil se perd
Envoyez-moi votre message. "
En Égypte où le Nil se perd
Sept pyramides au désert
Se sont assises dès l’aurore.
Là, qu’attendent-elles encore ?
Quand a passé l’orage noir,
Elles ont dit au vent du soir :
Où l’as-tu vu passer, vent qui viens d’Italie ?
Où l’as-tu vu passer, mer d’orages remplie ?
Dis, viendra-t-il bientôt, ou ce soir, ou demain,
Aux pèlerins d’Alep demander mon chemin ?
De mon faîte éternel si je pouvais descendre,
J’irais, agenouillée, au bord des flots l’attendre.
Quand son sultan la quitte, au sommet de sa tour
La sultane à Stamboul demeure tout le jour.
Ah ! Que son calumet sur sa natte l’ennuie !
Du haut de ses créneaux où son coude s’appuie,
Au détour du Bosphore, en pleine mer, là-bas,
Elle cherche une voile, et ne la trouve pas.
Et moi, j’attends ici mon sultan et mon maître.
Gazelles qui passez, le voyez-vous paraître ?
Est-il sur les flots purs ? Est-il dans les autans ?
Est-il dans mon soleil ? Je l’attends, je l’attends,
Pour que sa gloire écrite au bout d’un fer de lance
Remplisse mon désert, et rompe mon silence.
Que me fait la mosquée abaissée en arceaux ?
Que me font à mes pieds cent villes à créneaux,
Et tous leurs minarets à genoux sur les dalles,
Comme un esclave noir qui nouerait mes sandales ?
Pour s’asseoir devant moi sur mon sable aujourd’hui
Un géant doit venir ; et ce géant, c’est lui !
—Dites-le-nous de votre cime,
Nous le redirons à l’abîme.
Votre sultan, comment est-il ?
Vient-il du Bosphore ou du Nil ?
Comment est fait son cimeterre
Quand il jette son cri de guerre ?
—Comme un serpent ailé son cimeterre a lui :
Une étoile l’éclaire, et marche devant lui.
Comme un lion qui passe auprès de sa lionne,
Sur son front est écrit : " voyez-vous ma couronne ? "
Et déjà dans la gloire entré par cent endroits,
Son visage a pâli de la pâleur des rois.
Jamais en mon désert rien n’a laissé de trace,
Ni peuple, ni cité, que d’un souffle j’efface.
Ainsi qu’un livre ouvert, avec sa marge d’or,
Où pas un mot entier ne s’aperçoit encor,
Pour écrire le nom de ses jours à venir,
Tout mon sable s’étend de Thèbes jusqu’à Tyr.
Depuis que l’éternel en ce lieu m’a menée,
J’ai conservé mon deuil, à me taire obstinée.
Dans leurs songes mes sphinx m’ont dit : " le voyez-vous ?
Il marche en son combat. Le voilà, cachez-nous.
Comme un pâtre il nous pousse au fond de votre étable.
Ouvrez ! Son doigt écrit son nom sur votre sable. "
Après eux les lions ont passé ce matin.
Les lionnes disaient, attendant leur butin :
" Le lionceau d’Arcole a déjà sa crinière ;
" Des os des nations il se fait sa litière ;
" Il vient, il fait trois bonds, et franchit l’univers ;
" En feriez-vous autant, beaux lions des déserts ?
C’est pour lui jusqu’aux cieux qu’ici mon toit s’élève.
J’ai roulé dans mon ombre un chevet à son rêve.
Comme une lampe d’or pour éclairer son nom,
La lune à mon pilier pendra par mon chaînon ;
Et comme un mamelouk avec son cimeterre,
Mon désert veillera, couché dans sa poussière.
Comme une caravane aux tentes de granit,
J’attends mon chamelier sous ma pesante nuit ;
Quand mes cieux tariront, si je demande à boire,
Il répandra sur moi le flot de sa victoire.
Si je suis égarée en mon vide chemin,
Il m’apprendra la voie où va le genre humain.
À ma rive il dira le nom d’une autre rive,
Si l’ombre de mon faîte au bout du monde arrive ;
Si les tours des chrétiens, sous leur long voile noir,
Songent aux minarets, quand vient l’heure du soir,
Et si les clochers d’or, sous leurs brumes humides,
Rêvent pendant leur nuit des nuits des pyramides.
Ah ! Qu’il tarde à venir ! Cigognes du Carmel,
Sur mon faîte montez. Voyez-vous sous le ciel
Un épervier de Corse ? -oui, j’ai vu sa grande aile.
Là-bas sa griffe saigne, et son œil étincelle.
Épervier d’Aboukir, ferme ton aile d’or !
Sauve-toi dans ton nid, pélican du Thabor !