Malédiction sur un jardin

 
    Fane-toi, beau jardin dont j’aimais les odeurs,
    Où s’attardaient, plaintifs et las, les vents rôdeurs.
    Que périssent demain tes miels et tes odeurs !

    Et que d’infâmes vers rongent le cœur des roses !
    Que penchent les pavots et les pivoines closes !
    O jardin, que le soir fasse mourir tes roses !

    Vienne le vent mauvais qui tuera ces jasmins
    Qu’elle cueillit hier, en passant, de ses mains
    Qui restaient pâles dans la pâleur des jasmins !

    Voici que monte et que s’accroît le flot des herbes
    Furieuses autant que les vagues acerbes…
    Que monte la marée invincible des herbes !

    Et que ce flot tenace étrangle les grands lys
    Pareils à sa blancheur et qu’elle aimait jadis !
    Que soit anéanti le dernier de ces lys !

    Que le passant dénonce et détruise ces ronces,
    Dont l’accueil est pareil aux plus rudes semonces,
    En maudissant le mal infligé par ces ronces !

    Jardin, pourquoi serais-tu beau, jeune et charmant,
    Toi qui ne reçois plus mes pas fiévreux d’amant
    Et qui n’abrites plus son jeune corps charmant ?

    Je t’abandonne aux yeux futurs, je te délaisse !
    Puisque tu ne plais plus à la belle maîtresse
    Qui t’aimait, à mon tour, jardin, je te délaisse…

    Beau jardin où nos pas ne s’égareront plus,
    Reçois des étrangers les longs soins superflus !
    Fane-toi, beau jardin ! Elle ne m’aime plus.

Collection: 
1897

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