Les Soirs de grande fête

On ferme ! On ferme ! Et les veuves de noir vêtues,
À pas feutrés et lents, s’en vont sous leurs manteaux,
Et font tinter de lourds deniers en des plateaux
Placés dans l’ombre, au pied de géantes statues,
Comme les larges mains mendiantes de Dieu.
Au fond, l’autel éteint ses fleurs étincelantes,
Et les veuves glissent lentes et dévalantes
Vers la ville du soir où s’allument les feux.
Alors tous les métaux strident ; leur bruit s’essore ;
Les pieds des chandeliers grincent sur le parvis,
Les lampes font crier leurs chaînes et leurs vis ;
On écoute les tabernacles blancs se clore,
Et des grappes de clefs baller à des fermoirs :
L’église est vide.

Et dans ces voix, oh ! si cruelles,
Si grinçantes et si torturantes entre elles,
N’est-ce pas qu’on entend se déchirer l’espoir,
Et la douleur de ces veuves maigres et droites
Qui vont, à pas feutrés et lents, sous leurs manteaux,
La mémoire et le cœur traversés de couteaux,
Mais reviendront, demain, sur leurs chaises étroites
À l’heure où l’aube éteint dans la ville les feux,
Prier les Jésus morts et les vierges dolentes
Et baiser, tout comme hier, des blessures sanglantes,
Comme les larges mains mendiantes de Dieu !

Collection: 
1933

More from Poet

  • Le corps ployé sur ma fenêtre,
    Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
    J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
    Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
    Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
    Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,...

  • Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent
    Les feuillages lassés de soleil irritant,
    Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend
    Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

    Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille
    Au coeur de la...

  • D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs
    Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore,
    Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons
    Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore.

    Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grêlons,
    Malgré les gels...

  • Les horizons cuivrés des suprêmes automnes
    Meurent là-bas, au loin, dans un carnage d'or.
    Où sont-ils les héros des ballades teutonnes
    Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort ?

    Ils passaient par les monts, les rivières, les havres,
    Les burgs - et...

  • Oh ! la maison perdue, au fond du vieil hiver,
    Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer.

    Une lampe de cuivre éclaire un coin de chambre ;
    Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre.

    Dès quatre heures, on a fermé les lourds volets ;
    Le mur est...