Dieu jeune, agile et fier, modérateur du temps,
Le fils d'Hypérion, aux coursiers éclatants,
Illuminant les cieux de flamme originelle,
Envahissait au loin la campagne éternelle.
Courbé sur le quadrige, et les rênes en main,
Par flots de poudre d'or il frayait son chemin.
La blanche Séléné que te regard oublie
Dans l'éclat fraternel mourait ensevelie ;
Et les astres, penchés sur l'horizon naissant,
Du sidéral empire allaient disparaissant.
Sous les baisers du Dieu la terre frissonnante
Revotait du plaisir la rougeur rayonnante ;
L'Océan murmurait : un souffle égal et pur
D'un immense soupir gonflait son scia d'azur.
Or, sur le vieil Etna, noir géant de la terre,
Le sage vers les cieux leva son front austère,
Et triste, contemplant le monde jeune et beau.
Il salua la vie, au bord de son tombeau.
— O fille de Vesta, reine aimable, honorée,
Qui ceins ton front riant d'une gerbe dorée,
Mère des épis mûrs, nourrice des humains.
Tous les dieux t'ont bénie au sortir de leurs mains !
Ile heureuse, salut ! Toi dont le pied humide
Trempe aux flots d'Ausonie et dans la mer numide,
Moissonneuse immortelle au verdoyant trésor,
Salut, blonde Sicile ! — En son divin essor,
Caressant ta beauté de ses tièdes haleines
Un vent générateur alimente tes plaines !
De tes grandes cités le groupe glorieux
Pare d'un mâle éclat tes flancs victorieux :
Là, règne Sélinonte aux monuments épiques,
Syracuse féconde aux coursiers olympiques,
Et la douce Agrigente, au fleuve consacré,
Ou sentant une flamme en mon cœur inspiré,
Bans ta jeune ferveur de mes sollicitudes,
Je goûtai le nectar des divines études !
Doux pays où les dieux ont mûri mon été,
Adieu ! je vais plonger aux ondes du Léthé...
Pour la dernière fois, adieu, terre si belle,
Rejeton florissant de l'antique Cybèle !
Adieu, cité natale, air pur ! bords embaumés,
Je ne foulerai plus vos sentiers bien aimés ;
Mes yeux jamais, beau ciel, ne reverront ta gloire !
Et toi, puissant Etna, tombeau de ma mémoire,
Aux cendres d'Empédocle ouvre ton urne en feu,
Donne une paix sublime au sage. — Fais un Dieu l
Comme un son qui finit, comme un éclair qui passe,
Affranchis-moi du temps, du nombre et de l'espace ;
Et rejetant sur moi ton poids amoncelé,
Que je rentre au repos que la vie a troublé ! —
— L'abîme le reçut dans son ombre brûlante...
Et toi, qui de rosée au loin étincelante,
Souriais, amoureuse, à l'approche du Dieu,
Non, tu n'entendis rien de ce suprême adieu !
L'harmonieux concert de Téthys et d'Eole
Etouffa de ton fils la dernière parole...
Mais l'Etna bondissant et d'éclairs hérissé
Rugit comme un lion profondément blessé ;
Et rejetant, tout plein de forces inconnues,
Rochers, neiges et bois au sein des vastes nues,
Roula, comme un trésor, dans ses flots flamboyants,
Les sandales du sage en tes vallons riants !
O mère du poète, idéale patrie,
D'un chaud soleil dorée, — abondante et fleurie !
Ile au splendide abord, aux vallons merveilleux,
Que l'océan du ciel baigne de ses flots bleus !
Oh ! que ton air est pur ! oh ! que ta plaine est belle !
Jamais au soc divin elle ne fut rebelle :
La lyre y fait germer aux sillons radieux
L'Elysée et l'Eden, les anges et les dieux,
Et féconde, aux chaleurs d'un éternel solstice.
L'harmonie et l'amour, lu gloire et la justice !
Un fleuve au large cours, doux Léthé de douleurs,
Y chante sous l'azur les rayons et les fleurs,
Et parfois de ses eaux, à la terre altérée,
Le poète dispense une goutte sacrée !
Citer et beau paradis ! ô jeune et frais séjour !
Nid d'Eve et de Vénus, baigné d'un chaste jour !
Toi qui, sans t'épuiser, mesure avec largesse
A l'artiste l'amour, au vieillard la sagesse ;
Ah ! si l'enfant, bercé sur ton sein maternel,
Veut descendre avant Cage au repos éternel ;
Le cœur chargé d'ennuis, las d'un songe sublime,
Avare, s'il emporte avec lui dans l'abîme,
Effaçant de ses pas la trace en tout endroit,
L'héritage de gloire auquel le monde a droit...
O mère ! qu'un volcan expiatoire gronde,
Et déchirant ton sein d'une flamme profonde,
Rende à l'humanité, de tout repos bannie,
Le souvenir du sage ou les chants du génie !