Poète, entre les fleurs de l’âme il en est une
Qui croît aux vents aigus de l’adverse fortune.
Quand rêve, espoir, printemps, tout s’est évanoui,
Dans le jardin aride où l’âme se recueille,
C’est la suprême fleur, hélas ! que l’homme cueille,
Et cette fleur a nom la rose de l’oubli.
Pour nos cœurs dépouillés il est des roses noires.
Sur les restes fanés de nos douces histoires,
Sur notre rêve éteint dans l’ombre enseveli,
Sur nos vœux moissonnés par les heures fatales,
Un jour on voit grandir les fleurs aux noirs pétales,
Les roses sans parfum, les roses de l’oubli.
Espoir des jours premiers, ivresse printanière,
Lilas qui balanciez vos fronts dans la lumière,
Amour, lys virginal dans l’ombre épanoui,
Promesses qui des ans nous cachiez les ivraies,
O fleurs de notre avril, vous étiez donc moins vraies
Que ces roses, vos sœurs, les roses de l’oubli !
Il vient une heure froide aux angoisses mortelles ;
Nos amours les plus chers, ingrates hirondelles,
Désertent notre toit par l’hiver envahi.
D’irréparables fleurs gisent sur nos collines ;
Tout dort ; seule, une voix, la voix de nos ruines,
Nous dit : « Cueille, il le faut, les roses de l’oubli ! »
Ami, songe à cette heure amère, inexorable.
La lèvre ment : notre âme est vide et misérable.
Outragé dans tes vœux, par ton espoir trahi,
Un soir, cherchant en vain une forme envolée,
L’écho te répondra du fond de la vallée :
« Séparons-nous ; cueillez les roses de l’oubli. »
Eh bien, résigne-toi ! sans colère et sans haine,
D’une idéale erreur, hélas ! subis la peine,
Ne maudis point le sort ni ton rêve flétri.
De tes espoirs glanant les feuilles dispersées,
Ensevelis sans fiel tes ivresses passées :
Cueille en aimant encor les roses de l’oubli.