Les Pamplemousses

 
Vous souvient-il ? un jour, assis aux Pamplemousses,
Dans la vallée ombreuse aux ineffables voix,
Je vous disais, au bruit des ondes sur les mousses,
Aux frais gazouillements des oiseaux dans les bois :

« Là-bas, le voyez-vous, ce rêveur lent et triste,
Qui sous les verts palmiers s’éloigne à pas distraits ?
C’est un jeune homme au sein d’apôtre, au front d’artiste ;
Avec la Muse il a des entretiens secrets.

« Son œil pensif, cherchant des bois la quiétude,
Darde parfois l’éclair d’une idéale ardeur ;
Mais tout en lui parfois a la pâle attitude
D’une fleur qu’un insecte aurait piquée au cœur.

« Qu’a-t-il ? Seul, à l’écart, s’il souffre, il veut se taire :
Comme un exilé fier parmi nous égaré,
Il passe à nos cotés songeur et solitaire ;
Rien qu’à les voir, on sent que ses yeux ont pleuré.

« Ah ! quel que soit son mal, respectons sa tristesse ;
Un mystère est au fond des muettes douleurs :
Est-ce amour ou dédain ? est-ce orgueil ou tendresse ?
Qu’importe ! rien n’est vrai dans l’homme que ses pleurs.

« Être inquiet, nature irascible et puissante,
L’artiste a des dégoûts à tout autre inconnus :
Molle et douce à nos pas, rude et pour lui cuisante,
L’herbe de nos sentiers fait saigner ses pieds nus.

« C’est un de ces cœurs faits de force et de faiblesse,
En eux portant l’esprit qui les doit torturer :
Un rien l’exalte, un rien le trouble, un rien le blesse ;
Ce qui nous fait sourire, hélas ! le fait pleurer.

« Lys voilé dont l’encens au vent du beau s’exhale,
Ce cœur que pour l’amour Dieu sans doute a formé,
Ouvert à l’Art, buvant sa rosée idéale,
Semble à tout autre culte être à jamais fermé.

« Et plus fervent encor, quel culte à la nature !
Tout en elle a pour lui de mystiques lueurs,
Et l’on dirait parfois, rêveuse créature,
Qu’il cause avec les vents, les ondes et les fleurs.

« Morne et désabusé, le beau pourtant l’enflamme ;
Poète, il en subit le charme sérieux,
Et, sympathique esprit, une étoile, une femme,
Réjouissent toujours sa pensée et ses yeux.

« Tout à l’heure, en passant à vos côtés, Madame,
Un instant son regard s’est reposé sur vous,
Et soudain à sa lèvre est monté de son âme
Un sourire étonné, mélancolique et doux.

« Ah ! ne rougissez point de ce muet hommage,
Cygne, dont il n’a fait qu’entrevoir les blancheurs ;
Laissez-le dans sa grâce emporter votre image,
Comme un souvenir plein de lointaines fraîcheurs.

« Qui sait ? peut-être un jour, rêvant aux Pamplemousses,
A ce vallon tranquille aux ineffables voix,
A ce bruit cadencé des ondes sur les mousses,
A ces gazouillements des oiseaux dans les bois ;

« Triste et les yeux remplis de ce doux paysage,
Air mol et bleu, jardins où chantent les ruisseaux,
Où blanche il vous a vue à travers le feuillage
Comme un marbre sans tache à l’ombre des berceaux ;

« Qui sait ? peut-être alors, fleur lumineuse et pure,
Votre frais souvenir dans son âme éclora ;
Et ses doigts graveront votre chaste figure
Dans un vers calme et beau que l’avenir lira. »

Collection: 
1835

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