Les Magots

 
Sur la console en bois de chêne
Pleine de mille bibelots,
Les doigts blancs de la châtelaine
Avaient posé les deux magots.

Elle était joyeuse et folâtre :
Ses boucles d’or aux tons soyeux
Sur son front pur comme l’albâtre
Mettaient un nimbe radieux.

Et les magots branlaient la tête,
Ecarquillaient leurs gros yeux vairs,
Avaient l’air profondément bête
Sous leurs amples vêtements clairs.

Leur bouche allait jusqu’aux oreilles.
Tant ils riaient fort tous les deux ;
Et l’enfant aux tresses vermeilles,
En passant, riait avec eux.

Le manoir était en liesse,
Plein d’hôtes joyeux et charmants,
D’aimable et superbe jeunesse
Mêlant les fleurs aux diamants.

Chaque soir, le long des charmilles,
On voyait sous le dôme ombreux

Beaux cavaliers et jeunes filles
S’en aller couples amoureux.

Et pendant les fêtes splendides,
Devant les danses, les bijoux,
Les nains aux visages stupides
Riaient toujours comme des fous.

Mais, hélas ! un jour sonna l’heure
Où tout le pays fut en deuil :
La mort entrant dans la demeure
Mit la châtelaine au cercueil.

Sa blanche paupière abaissée
Voila pour toujours ses beaux yeux ;
On la porta, calme et glacée,
Dans le tombeau de ses aïeux.

Le manoir resta solitaire,
Les grands volets furent bien clos,
Et les arbres avec mystère
Se couvrirent de leurs rameaux…

Pourtant, sur la haute console,
Laissant fuir les nuits et les jours,
Enivrés d’une gaité folle
Les deux magots riaient toujours.

14 mars 1882.

Collection: 
1886

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