Mentons carrés et gros, cheveux pesants et roux,
Ils se dressent, là-bas, à l’horizon des âges,
Dans un emmêlement de grands gestes sauvages,
Parmi les îlots gris d’un sol poreux et mou.
De l’eau au loin, partout. À peine un coin de terre ;
À peine un buisson mort, sur un tertre fangeux ;
Et la pluie et le vent et le brouillard rugueux
Et, vers le soir, le râle ou l’aboi du tonnerre.
Thor est maître du ciel. À coups jaunes d’éclairs,
Il ébranle le cœur retentissant du monde ;
Et seuls, les becs claquants des échassiers, répondent
Au brusque assaut de ses fureurs à travers l’air.
Eux, les hommes, puisant la force en leur cervelle,
Peinent unis, vaillants, âpres et résignés,
Forgeant des mots voisins du cri pour désigner,
Dans un effort commun, leurs besognes nouvelles.
Ils font ce que jamais nul être humain ne fit
Depuis que le soleil brûle, dans les cieux vastes :
Les bords de l’Univers que l’océan dévaste
Ils les volent à l’eau pour en faire un pays.
De l’aube au soir, avant que les lourdes marées,
Vague après vague, aient remonté l’amas des flots,
Chacun marquant sa place et choisissant son lot
Rêve d’assujettir la mer démesurée.
Rusés et patients, comme les éléments,
Recommençant l’effort qui, tous les jours, échoue
Pour conquérir, grâce aux reflux, un peu de boue,
Ils semblent s’acharner à un travail dément.
Mais telle est leur ardeur raisonnée et prodigue,
Qu’avec des Joncs couchés, qu’avec des troncs debouts,
Dans les vases, la pourriture et les cailloux,
Ils parviennent quand même à maintenir leurs digues.
Le souci du futur crie en leurs cœurs battants,
Plus haut que tous les flots hurlant, sous les tonnerres.
Les fils hériteront du front têtu des pères
Dans cet œuvre qui va de cent ans en cent ans.
Et tels, sous les deux lourds et les brouillards de cendre,
Avec leurs yeux, leurs dents, leurs reins, leurs pieds, leurs bras,
Violemment, inventent-ils ce sol ingrat
D’où surgira, un jour, aux temps d’orgueil, la Flandre.