Les Deux Jeunes Marinières

                   •  I  •

                  MARINA.
Vois-tu ! si j’avais ta beauté,
Cousine, et sa fleur jeune et tendre,
Je me garderais bien d’attendre,
Seule dans ma fidélité.
Pour un marin qui trace l’onde
Au lieu de m’ennuyer au monde,
                Ma foi !
J’aurais plus de plaisirs que toi.

               LALY GALINE.
Tu crois donc que j’ai de l’ennui,
Cousine, en ma chambre fermée ?
J’y travaille toute charmée :
Est-on seule en pensant à lui ?
Tourner le dos à son image,
Mon Dieu ! ce serait bien dommage.
                Crois-moi !
Je suis bien moins seule que toi.

                  MARINA.
Ton amant n’est qu’un matelot
Qui n’a rien à lui que son âme,
Fidèle au serment d’une femme
Autant que le vent l’est au flot !
Laly ! je te le jure encore,
Si l’on m’aimait comme on t’adore,
                Ma foi !
J’aurais plus de joyaux que toi.

               LALY GALINE.
Je prépare en filant mon lin
La toile de notre ménage,
Et je n’ai pour tout voisinage
Que mon Christ en papier vélin,
Puis, pour parer ma cheminée,
Sa barque qu’il a dessinée…
                Crois-moi !
Je suis bien plus riche que toi.

                  MARINA.
Ton lin ne dure pas toujours.
On se fait voir aux jours de fête,
On met des rubans sur sa tête,
Et l’on danse à d’autres amours !
Prends les rubans que l’on t’apporte…
Ah ! s’il en pleuvait à ma porte,
                Ma foi !
J’aurais d’autres atours que toi.

               LALY GALINE.
Cousine, on ne fait pas son sort ;
Le mien est d’être une humble femme.
Les joyaux n’échauffent point l’âme,
Un cheveu qu’on aime est plus fort !
Sa chanson… tu sais bien laquelle !
Je chante et je pleure avec elle.
                Crois-moi !
Je chante plus souvent que toi.

                  MARINA.
Eh bien ! tu pleures trop souvent ;
On te trouve déjà pâlie.
Moi, de peur d’être moins jolie,
Je jetterais la plume au vent.
Sous tes pieds tu mets ta fortune :
Si mes beaux yeux m’en donnaient une,
                Ma foi !
Je serais plus fine que toi.

               LALY GALINE.
Ma fortune ? Il l’apportera.
Lorsque l’heure est toute sonnée,
Je suis moins lourde d’une année,
Car l’heure a dit : « Il reviendra ! »
Va ! quelque pauvre qu’il revienne
et tende sa main vers la mienne,
                Crois-moi !
Nous serons plus heureux que toi.

                   •  II  •

         LALY GALINE, seule.

      Jardin de ma fenêtre,
      Ma seule terre à moi,
      Avril t’a fait renaître…
      N’est-il bon que pour toi ?

      Tes fleurs moins chancelantes
      Se reparlent tout bas,
      Et moi je sais deux plantes
      Qu’il ne réunit pas.

      Combien de jours de fête
      Ont regardé mes pleurs
      Sans relever ma tête
      Pensive sur tes fleurs !

      Mais celui qui fait l’heure
      Compte mon temps amer ;
      Il voit dans ma demeure
      Comme il voit dans la mer.

      Ce soir, une hirondelle
      Qui revenait des cieux
      A frôlé de son aile
      Tes bouquets gracieux.

      Ta fraîche palissade
      A tremblé sous son cœur :
      Vient-elle en ambassade
      De la part du bonheur ?

      Sans lune et sans étoile
      Quand la nuit teint les flots,
      J’allume sous ton voile
      Ma lampe aux matelots,

      Afin que l’humble flamme
      Qui s’épuise ardemment,
      Comme un peu de mon âme,
      Attire mon amant.

      Mais du port si le phare
      Mourait avant le jour,
      Au marin qui s’égare
      Montre au loin mon séjour ;

      Dis-lui qu’à ma fenêtre,
      Toujours comme aujourd’hui,
      Les fleurs qu’il a fait naître
      S’illuminent pour lui.

      Dans la nuit implorée
      Qui le ramènera,
      Vers ma vitre éclairée
      Son âme montera.

      Fais qu’après ma neuvaine,
      Au bout d’un an perdu,
      Ma lampe le ramène
      À mes bras suspendu !

                  •  III  •

                  MARINA.
Entends-tu le canon du fort
Pour le vaisseau qui rentre au port ?
Mais, cousine, le capitaine
Tient l’équipage en quarantaine.
Viens voir de loin le bâtiment
Qui te ramène ton amant.

               LALY GALINE.
Laisse-moi reprendre mon cœur
Qui s’en va de joie et de peur.
J’avais rêvé cette nouvelle,
Mais, vois ! Je suis moins forte qu’elle…
C’est ma neuvaine au roi des cieux
Qui met de tels pleurs dans mes yeux.

                  MARINA.
Tu me fais rire avec tes pleurs :
Prends plutôt dentelles et fleurs !
Prends, et puisque Dieu te l’envoie,
Folle ! ne pleure pas de joie,
Car je sais que les amoureux
N’aiment pas qu’on pleure pour eux.

               LALY GALINE.
Que veux-tu ? Je suis faite ainsi,
Et parfois l’homme pleure aussi.
Il n’est pas plus fier que moi-même,
Cousine, et c’est pourquoi je l’aime.
Une larme sauve ; autrement
On mourrait de saisissement.

                  MARINA.
Allons ! viens ! tu n’en finis pas !
Viens ! tout le monde court là-bas
Au salut du canon qui roule.
Ton marin te croit dans la foule.
C’est la lenteur qui fait mourir ;
Moi, mes pieds brûlent de courir.

               LALY GALINE.
Marina, laisse-moi m’asseoir…
Je serai plus forte ce soir.
Il est là, j’ai le temps d’attendre.
S’il parlait on pourrait l’entendre !
Comme l’oiseau qui suit le vent,
Mon âme est allée en avant !

                  MARINA.
Mon âme est partout où je cours,
Et je m’endors aux longs discours.
Ta vie est comme une prière
Qui craint le bruit et la lumière.
Pour moi, sans bruit et sans soleil,
Le temps serait un long sommeil.

               LALY GALINE.
Le soir sera beau, Marina,
Dans la barque qu’il dessina.
La nuit n’y sera plus amère…
Mais je veux embrasser ma mère !
Va chercher du bruit pour ton cœur :
Dieu fait à chacun son bonheur !

Collection: 
1806

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