O vous qui sous vos pieds foulez une poussière
Teinte du noble sang des preux,
Reportez, un moment, vos regards en arrière ;
Songez à ces temps moins heureux
Où la guerre troublait nos paisibles campagnes ;
Où nos mères pleuraient leur sort ;
Où, des rives du fleuve au pied de nos montagnes,
Retentissait un cri de mort !
Alors, grâces au ciel, mille héros surgirent
Pour sauver nos biens et nos droits.
Le combat fut pour eux une fête. Ils vainquirent,
Mais ce fut la dernière fois.
Sanglant, humilié, le drapeau de la France
Dût repasser les vastes mers.
Le Canadien pleura sa dernière espérance,
Et ses regrets furent amers.
Mais il ne faiblit pas dans sa longue infortune ;
Devant son maître il reste grand ;
C’était l’arbuste fier que l’orage importune,
Et qui se courbe en murmurant.
Ah ! souvent il a vu, dans un radieux rêve
Qui ranimait son cœur brisé,
S’avancer, tout semblable au soleil qui se lève,
Le drapeau blanc fleurdelisé !
Or, voici que le vent du midi, sur son aile,
Nous apporte d’étranges sons :
D’un triomphe sacré c’est la voix solennelle,
Après la clameur des canons.
Et des bruits merveilleux de combats, de conquête,
Font tressaillir, dans leur cercueil,
Les mânes des guerriers qu’un brillant jour de fête
Rappelle au monde avec orgueil.
Ô France, après longtemps, sous le ciel d’Amérique
On revoit tes fiers étendards !
Devant tes escadrons, du superbe Mexique
Croulent soudain les hauts remparts !
Ton glaive étincelant fait trembler sur son trône
Le monarque injuste ou pervers.
Tu redonnes la paix, ― c’est la divine aumône, ―
Au peuple qui gît dans les fers.
Dans leur tombe d’un siècle entendez-vous encore
Frémir les cendres des héros ?
C’est pour vous saluer, blonds enfants de l’aurore,
Qu’ils ont secoué le repos.
C’est pour vous saluer, vous dont le nom s’envole
D’astres en astres jusqu’au ciel !
Vous qui, le front orné d’une même auréole,
Expirez sur le même autel !
Levez-vous ! Levez-vous, immortelles phalanges
Qu’un jour de gloire a vu tomber !
Après cent ans de deuil, à vos funèbres langes
Le monde peut vous dérober.
Levez-vous et voyez ! Nos forêts et nos terres
Ne nourrissent plus d’ennemis.
Ceux que vous combattiez sont devenus nos frères :
La même loi nous a soumis.
Et qui donc oserait nous ravir l’héritage.
Qu’un jour vous nous avez cédé ?
Qui pourrait nous chasser du glorieux rivage
Que votre sang a fécondé ?
Il verrait, celui-là, qu’un peuple qu’on opprime
Se réveille toujours puissant.
Et, poursuivi sans trêve, il laverait son crime
Dans ses larmes ou dans son sang !
Des soldats valeureux qui jadis le vengèrent
Notre peuple s’est souvenu.
À leurs petits enfants les vieillards racontèrent
Quel labeur ils ont soutenu.
Et la reconnaissance, au champ de la victoire,
Pour les siècles de l’avenir,
Sur un bronze orgueilleux qui redira leur gloire,
À buriné leur souvenir.