à son roi comme à Dieu notre peuple est fidèle,
Et la grande Albion nâeut jamais auprès dâelle
Un défenseur plus noble, un plus vaillant support.
Il fut dans tous les temps, loyal jusquâà la mort.
Et pourtant, on le sait, ce peuple doux et brave
Fut traité bien des fois comme un indigne esclave.
Les échos attristés de nos vieilles forêts
Redirent de nos chefs les odieux arrêts.
Mais le bruit de ces fers quâavait forgés le Maître
Fit surgir des héros, au lieu de faire naître
Dâimplacables vengeurs.
Nâallez pas, toutefois,
à vous qui mâécoutez ! croire que lâhumble voix
Du faible quâon opprime est toujours entendue.
à peuple canadien, ta plainte sâest perdue.
Souventefois, hélas ! avant dâatteindre aux cieux !
Ne croyez pas, non plus, que, fort peu soucieux
De son nom, de sa gloire, aux jours sombres dâorage,
Le peuple ait mieux aimé, sans force et sans courage,
Marcher, le cou plié sous un joug odieux,
Que tomber au combat sur le sol des aïeux.
Si le peuple a souffert sans craindre, ou sans maudire
Ses nombreux oppresseurs, câest, il faut bien le dire,
Quâil sentait dans son âme une force, une foi
Que ne pouvait briser la plus inique loi ;
Câest quâil avait en Dieu placé son espérance !
Albion, tu le sais, adoucis sa souffrance,
Ou le poursuis encor comme on traque un troupeau,
Albion, il est là pour sauver ton drapeau !
Aux jours de trente-sept, quand, sous la tyrannie,
Gémissait de nouveau notre terre bénie ;
Que Papineau semblait sonner enfin tes glas,
à puissante Albion ! quelques héros, hélas !
Osèrent seuls, pourtant, dans leur ardeur suprême,
Fouler aux pieds tes lois et te dire anathème !
Le peuple protesta devant tout lâunivers.
Son amour de la paix laissa tinter les fers.
Plus loin, dans le passé, faut-il prendre les armes,
Nous quittons nos foyers, pleins dâamours et de larmes.
Chateauguay, câest le but, câest la gloire et lâorgueil !
Chateauguay nâest-il pas comme un voile de deuil
Dont nous avons couvert la grande république ?
Dites, ne fut-il pas la meilleure réplique
à ceux qui méprisaient notre antique valeur ?
Plus loin, dans lâautre siècle, en ces temps de douleur
Où ceux-là qui vivaient avaient tous souvenance
Dâavoir vu, sur nos murs, le drapeau de la France
Sâincliner tristement devant le Léopard,
Nous les fils des vieux Francs, dans ce même rempart
Qui couronne le front de notre illustre ville
Comme un bandeau royal ; nous quâune haine vile
Avait calomniés et voués au mépris,
Nous nous fîmes soldats. Et le maître, surpris,
Nous dût, vous le savez, une insigne victoire.
Nous versions notre sang, il recueillait la gloire.
Quâimporte ? On nous disait : Câest le devoir, allez !
Et nous allions au feu, certains dâêtre criblés
Par les balles de plomb et lâardente mitraille.
Il a peut-être droit, celui-là qui nous raille
De notre dévoûment parfois si mal payé.
Nous, Canadiens-français, nous avons étayé
Sur notre sol fidèle, ô superbe Angleterre !
Ta gloire chancelante et ton pouvoir austère,
Quand, après cent combats, le peuple américain
Te chassa de ses bords et nous tendit la main.
Et quand Montgomery vint dans nos froides plaines,
Câest toi quâil poursuivait... Et ses mains étaient pleines,
Pour nous, tu le sais bien, dâentraînantes faveurs.
Ses soldats courageux étaient-ils des sauveurs,
Ou de traîtres amis quâon fit bien de combattre ?
Dieu nous protégea-t-il quand ils vinrent sâabattre,
Sur notre sol aimé, comme un troupeau de loups ?
Dieu nous protégea-t-il, ou fût-il contre nous ?
Or voici ce quâun jour redira la légende :
Câétait lâhiver. Le givre attachait sa guirlande,
Ãtrange fleur de lis, aux sapins toujours verts.
La nuit ouvrait son aile ; sous des cieux divers,
De grands nuages gris promenaient les tempêtes,
On vit tourbillonner la neige sur nos têtes.
Québec ne dormait pas sur son vaste rocher.
On voyait, dans la nuit, lentement sâapprocher,
Comme un serpent qui rampe autour dâun nid, sur lâherbe,
La troupe américaine. Empressée et superbe,
Elle avait tout conquis sur son passage heureux.
Montgomery guidait les guerriers valeureux.
Toujours sur le sommet de lââpre citadelle
Lâétendard dâAlbion flottait. La sentinelle,
Fouillant lâobscurité de ses perçants regards
Passait silencieuse au milieu des brouillards.
Le peuple sâagitait dans les étroites rues,
Comme on voit quelquefois, au fond des herbes drues,
Sâagiter les fourmis.
Et toujours il neigeait.
Et, le front dans sa main, Montgomery songeait :
Il songeait au moyen de surprendre la ville.
Tout à coup, dans les airs, une clameur fébrile
Se fait entendre. Il croit que cet étrange cri
Est un signal de mort, et quâun feu bien nourri
Va pleuvoir aussitôt sur sa troupe surprise.
Il lève ses regards vers la muraille grise,
Au sommet du rocher. Soudain deux traits de feu
Ãclairent le brouillard comme un regard de Dieu.
Il voit deux glaives dâor, il voit deux lames nues
Qui se croisent, là -haut, dans lâépaisseur des nues.
Et voilà que soudain se dessinent, brillants,
Les traits mystérieux de deux guerriers vaillants.
Et près dâeux est assise une femme voilée.
Lâétendard dâAlbion, la bannière étoilée
Déroulent leurs replis sur le front des lutteurs.
Et toujours le vent souffle. Et puis, sur les hauteurs,
Dans les créneaux étroits et dans nos tours célèbres,
Il semble quâon entend des murmures funèbres.
Montgomery, troublé, sâadresse à ses soldats :
â « Voyez donc, leur dit-il, â il montrait de son bras, â
« Voyez donc dans les airs ces choses tout étranges !
« Voyez ces étendards ! ces glaives et ces anges !
« Ah ! câest notre drapeau ! Câest lâétendard anglais !
« Quel combat merveilleux ! Quels guerriers ! Voyez-les !
« Et cette femme en deuil ! Le vainqueur la possède !
« Ah ! notre pavillon ! Il se replie ! Il cède !
Personne ne voyait lâétrange vision.
â « Nous nâapercevons rien : câest une illusion,
à vaillant général ! dirent, dâune voix grave,
Les soldats stupéfaits. »
Montgomery le brave,
Immobile et muet, suivait toujours, des yeux,
Le spectacle étonnant qui se passait aux cieux.
Mais les glaives, bientôt, nâeurent plus dâétincelles,
Et lâardeur sâéteignit dans les fauves prunelles
Des soldats éthérés. La femme, peu à peu,
Se fondit dans la nuit comme la cire au feu.
Et les deux étendards, changés en noirs nuages,
Lançaient de leurs replis le vent et les orages.
Montgomery baissa son front ruisselant dâeau :
Il tira lentement le sabre du fourreau.
Un éclair sâéchappa de la pointe aiguisée.
â « à mon pays », dit-il... Et sa voix épuisée
Se perdit dans lâorage... O mon pays aimé,
Suis-je lâange vaincu quâun prodige innommé
Vient de me faire voir ? O ma noble bannière,
Nous tomberons tous deux dans la même poussière !
Plongeant, au même instant, dans la nuit son regard,
Il voit lâEsprit vainqueur debout sur le rempart.
La femme, Ã ses genoux comme une esclave, rampe.
Et lâEsprit tient serré la glorieuse hampe
De lâétendard anglais. La femme a rejeté
Le voile de vapeur qui cachait sa beauté,
Et, dâun oeil triste et morne, elle cherche la trace
Du bel ange vaincu disparu dans lâespace.
Alors le général eut un sourire amer.
Son cÅur fut tout à coup troublé comme la mer
Quand souffle, vers la nuit, les vents froids de lâautomne.
On lâentendit crier, comme le ciel qui tonne :
â « Je te ferai mentir, ô présage odieux ! »
Et, dans son désespoir, il parut radieux.
Il courut en avant de sa troupe vaillante.
Le vent soufflait toujours, et la neige mouvante
Toujours tourbillonnait comme les noirs pensers
Dans un cerveau malade.
Au pied des hauts rochers
Où Québec dort assis dans sa parure neuve,
Serpente un noir sentier. Au midi le grand fleuve
Ferme, de ses flots verts, le chemin tortueux.
Câest par là que sâenvient le chef impétueux.
Lâaudacieux, il croit escalader lâenceinte,
Pendant que vers le nord, sur une attaque feinte,
Accourt la garnison. Il sâavance sans bruit.
Déjà le dernier poste apparaît dans la nuit,
Et le succès enfin, couronne son audace.
Soudain lâange vainqueur, comme un éclair qui passe,
Descend du haut des airs... Est-ce lâange de Dieu ?
Il touche les canons de son glaive de feu.
Un choc épouvantable ébranle la montagne.
On entend les échos gémir dans la campagne.
Un cri monte dans lâair, un cri long, douloureux...
La mitraille a fauché le guerrier valeureux !
Le vent souffle toujours, et la neige éclatante
Prête au mort son linceul. Dâune main palpitante
LâEsprit vainqueur reprend le drapeau dâAlbion.
La femme rêve encore. Et câest la nation.