Les Élus

La sagesse s’assied à mi-côte des monts ;
Les flots pâles des rivières intercalées,
Parmi les rocs de la vallée,
Inquiètent son long regard sentencieux,
Par les mille tours
Et les détours
Qu'ils font ;
Mais les calmes et réguliers villages
Dont elle voit passer les attelages,
En bon ordre, vers leurs travaux,
Réinstallent la paix et ses fixes flambeaux,
Dans le palais symétrique de son cerveau.

Le paysage est calme et ses aspects ne bougent.
À ceux qui l'observent d’en bas
La sagesse, d’un geste lent, désigne
Les chemins bien tracés et les routes insignes.
D’aucuns vers son appel accélèrent leur pas ;
Mais ceux dont les vouloirs sont rouges
Et qui veulent, où qu'ils montent, monter encor,
Ceux dont les fronts sont faits pour les vertiges d’or
N’écoutent rien, sinon leur âme, au fond d’eux-mêmes.

La joie est le tremplin de leurs élans suprêmes,
La joie âpre d’être en péril, d’être en danger,
Et de sentir leur cœur bondissant et léger
Au moindre appel des clairons noirs de la tempête.
La vie est un combat qu'ils ont changé en fête ;
Où l’on a peur d’aller en troupe — eux s’en vont seuls ;
Neige aveuglante et toi, profond linceul,
Sur le visage aigu de l’altitude blanche ;
Râpes du vent, étaux du froid
Mordant les doigts crispés, raclant les torses droits ;
Et vous les bonds, de roc en roc, des avalanches,

Vous n’arrêtez jamais
Leurs pas têtus, leurs pas rythmés vers les sommets.

Certes, elle était douce au fond de leur vallée,
L’existence, parmi les gestes et les voix,
Dans la chambre de joncs et de soleil dallée,
Entre les brocs de grès et les vieux bancs de bois.
Elle était simple, elle était franche,
Avec ses buissons bruns de labeur ou de peine
Au long des jours de la semaine ;
Avec ses floraisons rouges et blanches,
Chaque dimanche,
Quand les cloches, dans les matins, sonnaient ;
Quand les filles, le soir, étaient plus belles
Et que leurs corps, sous les baisers, rebelles,
Tout en se défendant, soudain s’abandonnaient.

Mais ceux, ceux qui gagnent de loin en loin les cimes,
Par un pauvre sentier pendu sur un abîme,

Ivres de joie et d’avenir, n’écoutent pas
Les souvenirs chanter dans les maisons d’en bas.
Leur geste solitaire est incompris, qu'importe !
Plus tard, le monde entier passera par la porte
Qu’ils ont ouverte, au bord des cieux, sur l’infini.
Aucun ne se demande où son rêve finit,
Et seuls, là haut, ils érigent plus haut encor
Que les sommets dont ils foulent la neige et l’or,
Toujours, vers plus d’espace et de clarté,
Les blocs de leur ardeur et de leur volonté.

Collection: 
1907

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