L'en-avant

Le corps ployé sur ma fenêtre,
Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,
Tintamarre si fort qu'on dirait qu'il décide
Du rut d'un cratère ou des chutes d'un mont.
Et leur élan m'ébranle encor et me secoue,
Qu'au loin, dans la ténèbre et dans la nuit du sort,
Ils réveillent déjà, du fracas de leurs roues,
Le silence endormi dans les gares en or.

Et mes muscles bandés où tout se répercute
Et se prolonge et tout à coup revit
Communiquent, minute par minute,
Ce vol sonore et trépidant à mon esprit.
Il le remplit d'angoisse et le charme d'ivresse
Etrange et d'ample et furieuse volupté,
Lui suggérant, dans les routes de la vitesse,
Un sillage nouveau vers la vieille beauté.

Oh ! les rythmes fougueux de la nature entière
Et les sentir et les darder à travers soi !
Vivre les mouvements répandus dans les bois,
Le sol, le vent, la mer et les tonnerres ;
Vouloir qu'en son cerveau tressaille l'univers ;
Et pour en condenser les frissons clairs
En ardentes images,
Aimer, aimer surtout la foudre et les éclairs
Dont les dévorateurs de l'espace et de l'air
Incendient leur passage !

Collection: 
1886

More from Poet

  • Le corps ployé sur ma fenêtre,
    Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
    J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
    Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
    Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
    Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,...

  • Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent
    Les feuillages lassés de soleil irritant,
    Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend
    Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

    Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille
    Au coeur de la...

  • D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs
    Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore,
    Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons
    Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore.

    Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grêlons,
    Malgré les gels...

  • Les horizons cuivrés des suprêmes automnes
    Meurent là-bas, au loin, dans un carnage d'or.
    Où sont-ils les héros des ballades teutonnes
    Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort ?

    Ils passaient par les monts, les rivières, les havres,
    Les burgs - et...

  • Oh ! la maison perdue, au fond du vieil hiver,
    Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer.

    Une lampe de cuivre éclaire un coin de chambre ;
    Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre.

    Dès quatre heures, on a fermé les lourds volets ;
    Le mur est...