Le Vin de mon ami

Ah ! sapristi ! le bon vin
D’où qu’il vînt,
Ami, que tu m’as fait boire !
Quand il viendrait du Brésil,
Je dis qu’il
Est digne du Saint Ciboire.

Est-il de belle couleur !
Quelle fleur
Lui peut être comparable !
Un rubis auprès de lui
N’est que nuit,
Tout parfum, que misérable.

Il est frais entre les dents,
Et dedans
La gorge il met de la joie,
De même qu’il rend au cœur
Sa vigueur,
Sans inquiéter le foie.

Il n’est pas de ces vins fous.
Lesquels vous
Flanquent d’abord une tape.
Pacifique et naturel,
Il est tel,
Qu’il somnolait dans la grappe.

Ses éléments éthérés,
Par degrés,
Montent, par lente poussée,
Mais ne prennent pas d’assaut,
En sursaut
Le palais de la Pensée.

C’est un paisible et serein
Souverain,
Qui, dans sa cour enchantée,
Avance à pas de velours,
Si peu lourds
Qu’on ne s’en peut faire idée.

Pourtant, à son pas discret,
On dirait
Que ses courtisans s’éveillent
Qui dormaient en l’attendant…
Dans l’instant
S’éveillent et s’émerveillent.

Et lentement, et petit
À petit,
Les rythmes, comme des pages,
Commencent à frétiller,
Babiller,
Et mènent de grands tapages.

Un rêve dans mon cerveau,
Tout nouveau,
Se lève comme une aurore,
Plus ingénu mille fois,
Qu’en les bois,
Une fleur qui vient d’éclore,

Et voici que mon esprit
S’attendrit
Sur nos misères humaines,
Et que je dis des méchants :
Pauvres gens !
Pitié pour ces phénomènes !

Collection: 
1920

More from Poet

  • Je demande en mariage
    La fille d’un roi,
    Avec ou sans alliage :
    Plutôt sans, ma foi.

    ...
  • Quand, en Chine, un Chinois devient décapité,
    Une fois sa besogne faite,
    Le bourreau, sans tarder, avec habileté
    Lui recoud, aussitôt, la tête.

    La...

  •  
    Dès qu’il sut que la Joconde,
    La merveille sans seconde (?)
    Du Louvre avait disparu,
    Lépine, avec sa cohorte
    De sbires de toute sorte,
    Aussitôt est accouru,

    Suivi de Monsieur Homolle,
    Œil inerte et jambe molle,
    Et de Dujardin-Beaumetz,...

  • Vous avez beau dire et faire
    Voici le Printemps !
    Vous pouvez dans l’atmosphère
    Mordre à pleines dents....

  • Je t’ai maudite bien des fois,
    Eau du ciel, en mon ignorance ;
    N’ayant guère de déférence
    Sinon pour le vin que je bois.

    Ce soleil qui nous tyrannise,
    Certes, fera du vin coté ;
    Mais plus nombreux il eût été,
    S’il eût plus plu, qu’on se le dise.

    ...