Quand tu dormais sous la ramée,
Frêle oiseau, sans ailes encor,
Invisible et de ruse armée,
Une main sur toi s’est fermée
Et du ciel priva ton essor.
Et tu grandis dans l’esclavage,
Exilé de l’air et des bois,
Rêvant peut-être un lieu sauvage
Plein de silence et de feuillage,
Où libre pût monter ta voix.
Quand tu parus dans ma retraite,
Que ta voix devait réjouir,
Heureux d’abriter un poète,
Mon humble toit se mit en fête,
Chanteur ailé, pour t’accueillir.
Rêvant pour toi paix et bien-être,
Je t’installai près du foyer,
D’où l’on peut voir par ma fenêtre
Au vent se bercer le vieux hêtre;
Au ciel le nuage ondoyer.
Mais d’abord, farouche, irascible,
Comme un captif chez son geôlier,
Poète au silence invincible,
Tu restas froid, morne, insensible,
A mon accueil hospitalier.
« Sois libre ! je hais l’esclavage !
Loin d’ici veux-tu t’envoler ?
Pars ! retourne au natal bocage ! »
J’ouvris la fenêtre et ta cage ;
Tu refusas de t’en aller !
Reste donc, et sois béni, frère !
Tu n’as pas fui mon amitié.
Le sort m’est si dur et contraire,
Que j’ai besoin, cœur solitaire,
D’un cœur qui me prenne en pitié !
Et dès lors ma sollicitude
Veilla sur toi sans t’alarmer.
De me voir tu pris l’habitude,
Et, soit instinct, soit gratitude,
Tu finis, je crois, par m’aimer.
Chaque jour ma main fraternelle,
Te prodiguant les soins jaloux,
T’offrait le grain et l’eau nouvelle ;
Et sur moi ta noire prunelle
Dardait un regard vif et doux.
L’hiver, l’horrible hiver du Siège,
Quand tout Paris manquait de pain,
Cerné par le Hun sacrilège,
Malgré la disette et la neige,
Toi du moins tu n’eus froid ni faim.
Jours d’angoisse ! ô malheurs célèbres
Dont mon cœur saigne avec orgueil !
Toi, pendant ces heures funèbres,
Hôte muet de mes ténèbres,
Ton deuil répondait à mon deuil.
Au bruit sinistre de la bombe
Qui passe effleurant la maison,
D’un vivant partageant la tombe,
Tu me rappelais la colombe,
La colombe d’Anacréon.
Ta présence en ma nuit morose
Évoquait mon soleil natal,
La plaine où mûrit la jam-rose,
Nos monts d’azur que l’aube arrose,
Tout mon beau ciel oriental ;
Mon île austère, mais sereine,
L’oasis des grands flots amers
Où de l’Inde erre la Sirène,
Baignant dans l’or son front de reine,
Ses pieds dans le saphir des mers.
O vision éblouissante !
Mirage aux lointaines clartés !
Dans le passé mon âme absente
Oubliait de l’heure présente
Les navrantes réalités.
J’entendais au pied des collines,
Dans l’herbe en fleur ensevelis,
Se berçant au vent des ravines,
Les chœurs ailés aux voix divines
De nos frères les bengalis.
Chante comme eux ! que ma pensée,
Pleurant les maux de mon pays,
O rossignol ! par toi bercée,
Revole vers l’aube éclipsée
De mes bonheurs évanouis !
Le chant, bien mieux que la parole,
Sait du sort adoucir les coups ;
Avec lui la douleur s’envole :
Il berce, il endort, il console
Ce qui souffre et gémit en nous.
En ces temps d’atroce tuerie,
Où le Hun fourbe et carnassier
Promène en nos champs sa furie,
Heureux qui peut pour la patrie
Mourir aux éclairs de l’acier !
Mais la mort, cette mort qu’on brave
En plein soleil, sous les cieux purs,
Nous fuit ! c’est l’hiver, la faim hâve
Qui nous frappent, bétail esclave,
Enfermés dans nos propres murs !
Inexorable Destinée !
Forfaits par l’enfer applaudis !...
C’en en est trop ! viens, Muse obstinée,
Voile à mon âme consternée
La hideur de ces temps maudits !
La force ici ment au courage,
Le Droit est trahi par le sort.
D’un vainqueur défions la rage :
Comme l’Alcyon dans l’orage,
Rossignol ! chantons dans la mort.
Laissons s’ouvrir et se détendre
Nos cœurs par l’angoisse envahis.
Chante, oiseau ! que je croie entendre
La voix mélancolique et tendre
De nos frères les bengalis !
Que ton chant limpide et sonore
Ouvre à mon esprit enchaîné
Ce libre azur que l’astre dore,
Nos horizons baignés d’aurore,
Le beau rivage où je suis né !
Mais non : morne, farouche, austère,
Tant que l’hiver planant au ciel
D’un blanc linceul couvrit la terre,
Sachant souffrir, sachant te taire,
Tu restas sourd à mon appel.
C’est bien, je comprends ton silence :
Quand du talon de l’étranger
Notre sol subit l’insolence,
Quand de partout ce cri s’élance :
« Sauvons la patrie en danger ! »
Quand au bruit strident des mitrailles
Qui sur nos toits pleuvent des cieux,
Se mêle, au sein de nos murailles,
Le glas sonnant les funérailles
D’un peuple trahi par ses dieux ;
Quand l’obus sème l’incendie
Et dans nos murs et dans nos champs,
Non ! ce n’est point, ô Poésie !
Ton heure à toi, l’heure choisie
Pour les rêves et pour les chants.
C’est l’heure où le cœur se replie
Dans un amer recueillement,
L’heure, où des maux de la patrie
Chacun, dans son âme meurtrie,
Couve l’altier ressentiment ;
L’heure des détresses communes
Où chacun à tous doit s’unir,
Et, navré des mêmes fortunes,
Des représailles opportunes
Attend le jour lent à venir.
Vienne ce jour, ô mère ! ô France !
Jour trois fois cher à tes enfants,
Et des cœurs vibrant d’espérance
Jaillira pour ta délivrance
La strophe aux mètres triomphants !
Alors, sans fureur qui t’égare,
Mais sur tous levant ton flambeau,
Le Hun fratricide et barbare
Pourra te voir, comme Lazare,
Sortir vivante du tombeau !
Alors... Trêve aux paroles vaines !
Le silence au vaincu sied mieux.
Laissons le soleil dans nos veines,
Comme la sève aux troncs des chênes,
Refaire le sang des aïeux !
Or, le froid déjà diminue,
L’air a des souffles caressants,
Un soleil pâle, ouvrant la nue,
Fond la neige, et la glèbe nue
Se verdit de gazons naissants.
Du printemps, de la paix prochaine
On voit les signes précurseurs ;
L’air s’azure et se rassérène,
Et, là-bas, décroît dans la plaine
Le flot noir des envahisseurs.
Lourds de butin, légers de gloire,
Qu’ils partent repus ! L’avenir,
O vous qui souillez la victoire,
Un jour fera dire à l’histoire
Si nous savons nous souvenir.
Bientôt les lilas vont éclore,
Du sol vont poindre les moissons ;
L’alouette au gosier sonore
Dans l’azur que l’aube colore
Déjà s’élance des buissons.
Déjà planent les hirondelles
Autour de nos toits mutilés,
Saluant de leurs cris fidèles
Nos clochers et nos citadelles
Par l’Aigle noire, hélas ! souillés.
Les gais moineaux à ma fenêtre
Ont repris leurs jeux querelleurs,
Leur vol réjouit le vieux hêtre,
L’aïeul pensif qui les vit naître
Et les berça parmi ses fleurs.
Au soleil dissipant la brume,
Cher hôte avec moi prisonnier,
Ton œil noir aussi se rallume,
Et tu sens glisser sous ta plume
Les tiédeurs du vent printanier.
Tu contemples de ma croisée,
Pensif en ta cage d’osier,
La cour de lierre pavoisée,
Le bassin à l’onde irisée,
La haute tige du rosier.
L’esprit du chant en toi s’agite,
Ton aile en trahit le frisson,
Au cœur le sang te bat plus vite,
Du printemps la muse t’invite
A lancer au ciel ta chanson.
L’ivresse dont ton âme est pleine
Dilate et soulève ton corps ;
J’écoute, respirant à peine :
Enfin, de ta gorge d’ébène
Jaillit le flot de tes accords.
Flot lumineux, gammes ailées,
Flèches du son au large éclair,
Vocalise aux notes perlées
Tombant en grappes étoilées
Dans le silence ému de l’air ;
Hymne où la volupté soupire
Sa riche lamentation,
Cris d’amour que le cœur inspire,
Musique où palpite et respire
Le clavier de la passion ;
Tous ces secrets, doux ou sublimes,
Qu’à rendre l’homme est impuissant,
Désirs, transports, langueurs intimes,
O roi du chant ! tu les exprimes
Dans ta langue au multiple accent ;
Bruits de la source au frais murmure,
Soupirs du vent au sein des bois,
Toutes les voix de la nature,
Mélodieuse créature,
Tu les résumes dans ta voix !
Verse-la donc en mon oreille,
Ta voix aux magiques douceurs !
Évoque en mon âme et réveille
La vision et la merveille
D’un Éden fleurissant ailleurs !
Verse, verse à pleine poitrine
L’ivresse qui déborde en toi !
Qu’à ton chant ma nuit s’illumine !
Traduis dans ta langue divine
L’idéal qui soupire en moi !
Dis le printemps, dis l’espérance,
Le départ du dévastateur !
Dis le jour de la délivrance !
Dis !... Tout mon être fait silence
Pour t’écouter, divin chanteur !
Divin chanteur au noir plumage,
Suave artiste au gosier d’or,
La lyre envîrait ton ramage,
Et tout barde en toi rend hommage
A la Muse au lyrique essor.
Et tu chantes, et ma retraite
S’emplit d’accords et de clarté,
Et ton hymne étoilé, poète,
De ma solitude muette
A payé l’hospitalité.
Sois béni, barde prophétique,
Toi qui dans nos jours de malheurs,
Devant mon deuil patriotique,
Évoques, vision stoïque,
L’avenir aux espoirs vengeurs ;
Toi de qui la voix inspirée,
Du printemps fêtant le retour,
Annonce à la Cité sacrée
Votre départ, horde exécrée,
Horde du Hun et du vautour ;
Toi qui dans mon âme meurtrie
Ravives, au jour du danger,
Ma double et haute idolâtrie :
Le saint amour de la patrie,
La sainte horreur de l’étranger !