Le Plus grand mal

 

LORSQUE je vous aimais, j’avais le cœur en peine,
Car je ne savais pas si vous reviendriez.
Je souffrais ; ma souffrance alors n’était point vaine,
Et j’étais consolé dès que vous paraissiez.

J’avais de longs chagrins et des doutes sincères.
Je croyais en vos yeux, puis je n’y croyais plus,
Et, fou, je m’inventais d’innombrables misères :
Je vivais indécis, tremblant, irrésolu.

Je ne me décidais à rien qui me fût tendre,
Et je craignais d’oser ce que vous désiriez ;
Timide, j’avais l’air de ne jamais comprendre
Les invitations d’amour que vous faisiez.

Oui, je vivais contraint, quand vous me vouliez libre !
Je ne sais quoi de fort toujours me retenait.
Confus, je me sentais lié par chaque fibre,
Comme si mon désir lui-même s’enchaînait !

Je pleurais. J’éprouvais des angoisses profondes.
J’avais peur de vous perdre, ah ! peur affreusement !
Par vous, je haïssais ou j’adorais le monde :
Pour un mot dédaigneux, un sourire clément !

J’étais plein de remords suscités par ma faute,
Mais, enfin, je vivais, heureux ou malheureux !
Dans mon bonheur furtif j’allais la tête haute :
Ce n’était qu’un instant, mais j’avais vu les cieux !

Aujourd’hui, je ne suis pas même misérable !
Du moins, quand je souffrais je me sentais un cœur !
L’indifférence a fait mon âme inaltérable,
Et c’est un mal plus grand que toutes les douleurs !

Collection: 
1898

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