Le Passé

 
Passé, matins riants, bienheureuses années,
Candeurs des jours éteints, illusions fanées,
Ah ! pour vous ressaisir, vous que nous pleurons tant,
Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant !
Comme ils sont loin déjà, les jours de mon enfance !
La vie en moi s’ouvrait dans sa fleur d’innocence ;
De mon être imprégné d’odorante fraîcheur
Un parfum printanier montait vers le Seigneur ;
Et, tel qu’un arbre en fleur, mon esprit plein de sèves
Berçait au vent de Dieu la beauté de ses rêves !
Du chant voilé des eaux, du bruit mourant des bois
J’enivrais mon oreille et j’emplissais ma voix ;
Ma Muse se baignait, blonde et jeune d’années,
Dans les moites senteurs des vertes matinées ;
Et l’inspiration au virginal essor
Se levait sur mon âme ainsi qu’une aube d’or.
Poète, oh ! je l’étais alors ! et mes pensées
S’épandaient dans les airs en ondes cadencées,
Et, comme un lac au fond des bois mystérieux,
Pures, réfléchissaient la pureté des cieux.
De la foi sur mes jours brillait encor l’étoile ;
Je trouvais Dieu partout sans mystère et sans voile :
Je l’entendais parler dans le bruit des roseaux,
Je l’entendais chanter dans la voix des oiseaux,
Je le sentais passer dans les larges haleines
Des brises ondoyant au sein profond des plaines ;
Je le voyais sourire et briller plus qu’ailleurs
Dans la splendeur de l’astre et la gloire des fleurs !
Et de mon âme ouverte, effusion première,
Montait ma poésie en strophes de lumière ;
Et, tel que la colombe à l’harmonieux vol,
Mon esprit sans effort se détachait du sol
Et dans les feux de l’aube, aux voûtes éternelles,
N’avait pour s’élever qu’à déployer les ailes !

Mais ces temps ne sont plus ! Sans flamme et sans accords,
Je languis désormais sous les chaînes du corps.
Mon luth n’a plus de corde où vibre l’espérance ;
Ma voix est un sanglot, mon chant, une souffrance ;
Et, comme cet arbuste aux larmes d’ambre et d’or,
A qui le fer cruel fait saigner son trésor,
Trahissant à mes flancs de secrètes morsures,
Mes vers ne coulent plus qu’à travers mes blessures !
Et ces vers douloureux, cette amère liqueur,
Goutte à goutte, en secret, s’épanchant de mon cœur,
Me font plus douce encor la douce poésie
Dont s’abreuvait, enfant, ma jeune fantaisie.
Et je songe avec pleurs à mon enfance aux bois,
A ma lyre facile, à mes chants d’autrefois,
A ces jours où, pareils au lys de ma colline,
Essaim mélodieux à la voix cristalline,
Mes frais pensers, ouvrant leurs ailes de blancheur,
D’un naturel essor s’en allaient au Seigneur !
Et je me dis alors, pris du mal de la vie,
Et vers mes jours éteints tournant des yeux d’envie :
Pour croire et pour aimer, pour prier et chanter,
Pour se sentir vers Dieu palpiter et monter,
Pour déborder de foi, de sève et de puissance,
Pour revêtir d’Abel la robe d’innocence,
Pour être fort et pur, candide et triomphant,
Ah ! qui donc ne voudrait redevenir enfant !

Collection: 
1835

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