Le Marais

               C’est un marais dont l’eau dormante
               Croupit, couverte d’une mante
               Par les nénuphars et les joncs :
               Chaque bruit sous leurs nappes glauques
               Fait au chœur des grenouilles rauques
               Exécuter mille plongeons ;

               La bécassine noire et grise
               Y vole quand souffle la bise
               De novembre aux matins glacés ;
               Souvent, du haut des sombres nues,
               Pluviers, vanneaux, courlis et grues
               Y tombent, d’un long vol lassés.

               Sous les lentilles d’eau qui rampent,
               Les canards sauvages y trempent
               Leurs cous de saphir glacés d’or ;
               La sarcelle a l’aube s’y baigne,
               Et, quand le crépuscule règne,
               S’y pose entre deux joncs, et dort.

               La cigogne dont le bec claque,
               L’œil tourné vers le ciel opaque,
               Attend là l’instant du départ,
               Et le héron aux jambes grêles,
               Lustrant les plumes de ses ailes,
               Y traîne sa vie à l’écart.

               Ami, quand la brume d’automne
               Étend son voile monotone
               Sur le front obscurci des cieux,
               Quand à la ville tout sommeille
               Et qu’à peine le jour s’éveille
               À l’horizon silencieux,

               Toi dont le plomb à l’hirondelle
               Toujours porte une mort fidèle,
               Toi qui jamais à trente pas
               N’as manqué le lièvre rapide,
               Ami, toi, chasseur intrépide,
               Qu’un long chemin n’arrête pas,

               Avec Rasko, ton chien, qui saute
               À ta suite dans l’herbe haute,
               Avec ton bon fusil bronzé,
               Ta blouse et tout ton équipage,
               Viens t’y cacher près du rivage,
               Derrière un tronc d’arbre brisé.

 

               Ta chasse sera meurtrière ;
               Aux mailles de ta carnassière
               Bien des pieds d’oiseaux passeront,
               Et tu reviendras de bonne heure,
               Avant le soir, en ta demeure,
               La joie au cœur, l’orgueil au front.

Collection: 
1831

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