Tout beau, fauve grondeur, demeure dans ton antre,
Il n’est pas temps encor ; couche-toi sur le ventre ;
De ta queue aux crins roux flagelle-toi les flancs,
Comme un sphinx accroupi dans les sables brûlants,
Sur l’oreiller velu de tes pattes croisées
Pose ton mufle énorme, aux babines froncées ;
Dors et prends patience, ô lion du désert ;
Demain, César le veut, de ton cachot ouvert,
Demain tu sauteras dans la pleine lumière,
Au beau milieu du Cirque, aux yeux de Rome entière,
Et de tous les côtés les applaudissements
Répondront comme un chœur à tes grommèlements.
On te tient en réserve une vierge chrétienne,
Plus blanche mille fois que la Vénus païenne ;
Tu pourras à loisir, de tes griffes de fer,
Rayer ce dos d’ivoire et cette belle chair ;
Tu boiras ce sang pur, vermeil comme la rose :
Ne frotte plus ton nez contre la grille close,
Songe, sous ta crinière, au plaisir de ronger
Un beau corps tout vivant, et de pouvoir plonger
Dans le gouffre béant de ta gueule qui fume,
Une tête où déjà l’auréole s’allume.
Le Belluaire ainsi gourmande son lion,
Et le lion fait trêve à sa rébellion.
Mais toi, sauvage amour, qui, la prunelle en flamme,
Rugis affreusement dans l’antre de mon âme,
Je n’ai pas de victime à promettre à ta faim,
Ni d’esclave chrétienne à te jeter demain ;
Tâche de t’apaiser, ou je m’en vais te clore
Dans un lieu plus profond et plus sinistre encore ;
A quoi bon te débattre et grincer et hurler ?
Le temps n’est pas venu de te démuseler.
En attendant le jour de revoir la lumière,
Silencieusement, à l’angle d’une pierre,
Ou contre les barreaux de ton noir souterrain,
Aiguise le tranchant de tes ongles d’airain.