Ô rare invention où mon cœur se complaît,
S’attendrit et se pâme !
Un journal qui devient un aliment complet
Pour le corps, sinon l’âme !
Un papier comestible et digestible, enfin !
Quelle joie ! ô délire !
Pourra le pauvre diable en apaiser sa faim,
S’il ne daigne le lire.
Je me vois déjeunant d’un matinal « canard »
Lequel me rassasie ;
D’une page dînant de ton Temps, ô Hébrard !
De deux, les jours d’orgie.
Le soir, il se pourrait que la faim me minât.
Avant que je me couche,
Alors, je souperai d’un peu de Femina :
Ça, pour la bonne bouche.
Sans compter, qu’une fois le principe trouvé,
Vous verrez tout à l’heure,
Un journal succulent, raffiné, relevé
D’encre supérieure.
*
* *
Après qu’il l’aura lue, un chacun mangera
Telle ou telle rubrique :
La Chambre, les échos, les sports, et cætera…
Les nouvelles d’Afrique…
Il est bien évident que pour le bon bourgeois,
Un article de tête,
Signé d’un nom connu, sera morceau de choix,
Une chère parfaite.
Madame, au feuilleton trouvera son profit,
Quelle qu’en soit l’usine.
Les annonces, les chiens écrasés, les on-dit…
Seront pour la cuisine.
Pour les repas de corps, les noces, les festins,
La Revue des Deux Mondes
Peut en boucher deux coins aux pires intestins,
Ou le Ciel me confonde !
L’Officiel aussi sera là pour un coup,
Qui coûte cinq centimes,
Et saurait apaiser cinq appétits de loup,
Et plus, à mon estime.
Que vous dirai-je encor ?… Remarquez bien aussi
Que les propos de table
Seront plus imprévus. Déjà, j’entends d’ici
L’amphitryonne aimable
Dire à son invité : « Mais vous ne mangez pas,
Vous êtes donc malade ?
Vous savez, nous n’avons que ces roses Débats
Avec une salade. »
Et l’invité : « J’ai bien dîné, je vous promets.
La chère fut exquise.
Tenez, je mange encor ce bout d’article, mais,
C’est pure gourmandise. »