Le Gobelet d’argent

Sur la place aux enseignes livides,
Où les cloches sonnent un glas,
Il pleut, dans le kiosque vide,
Là-bas.

Le grave et rouge bourgmestre
S’assied au « Gobelet d’Argent »,
À sa place, près des fenêtres ;
Et, solennel avec les gens,
Il regarde, d’un air tranquille,
Vivre sa ville.

Tous les pavés sont vernis d’eau ;
Un chien s’enfuit ; deux chiens se flairent ;
La marchande de scapulaires
Sonne à la porte du bedeau.

À sa montre, pareille aux trônes,
L’aide du pharmacien quinteux
A remplacé le bocal bleu
Par un bocal de couleur jaune.

Le vieux greffier passe, en retard,
Et regarde, d’un œil oblique,
Chez l’horloger, dans la boutique,
L’heure que sonne un jacquemart.

On sait, dans tout le voisinage,
Que le notaire a confié
Le soin de ses vingt-deux lauriers
Au jardinier du béguinage.

Et les arbres, aux rameaux noirs,
Rentrent chez eux, toilette faite,
L’autre après l’un, sur des brouettes,
Qui font trembler les vieux trottoirs.

Bête de somme et de supplice,
Voici l’antique cheval blanc
Qui se cahote, à pas très lents,
Vers la porte du vieil hospice.

Coup de sifïlet droit comme un dard,
Et nuages de vapeurs blanches ;
Et roule, au loin, en avalanche,
Le train de midi moins un quart.

Le grave et rouge bourgmestre
Quitte son siège à ce signal,
Laissant son broc, vide et banal,
Regarder seul par la fenêtre.

Collection: 
1933

More from Poet

  • Le corps ployé sur ma fenêtre,
    Les nerfs vibrants et sonores de bruit,
    J'écoute avec ma fièvre et j'absorbe, en mon être,
    Les tonnerres des trains qui traversent la nuit.
    Ils sont un incendie en fuite dans le vide.
    Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts,...

  • Lorsque la pourpre et l'or d'arbre en arbre festonnent
    Les feuillages lassés de soleil irritant,
    Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s'étend
    Le lierre humide et bleu dans les couches d'automne.

    Il s'y tasse comme une épargne ; il se recueille
    Au coeur de la...

  • D'énormes espaliers tendaient des rameaux longs
    Où les fruits allumaient leur chair et leur pléthore,
    Pareils, dans la verdure, à ces rouges ballons
    Qu'on voit flamber les nuits de kermesse sonore.

    Pendant vingt ans, malgré l'hiver et ses grêlons,
    Malgré les gels...

  • Les horizons cuivrés des suprêmes automnes
    Meurent là-bas, au loin, dans un carnage d'or.
    Où sont-ils les héros des ballades teutonnes
    Qui cornaient, par les bois, les marches de la Mort ?

    Ils passaient par les monts, les rivières, les havres,
    Les burgs - et...

  • Oh ! la maison perdue, au fond du vieil hiver,
    Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer.

    Une lampe de cuivre éclaire un coin de chambre ;
    Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre.

    Dès quatre heures, on a fermé les lourds volets ;
    Le mur est...