Le Galion

 

À travers la mer tropicale,
Sous un soleil à rendre fou,
Avec des lingots plein sa cale,
Le navire vient du Pérou.

Le blason d’Espagne et d’Autriche
Palpite sur son pavillon.
Vent arrière, pompeux et riche,
Il revient, le lourd galion.

La rançon de vingt rois voyage
Dans son flanc de l’onde émergeant,
Et l’écume de son sillage
Est comme une sueur d’argent.

Sa marche est imposante et fière ;
Gonflé d’or, il est tout doré,
Des fanaux du château d’arrière
Jusqu’au Neptune du beaupré ;

Et la caronade qui bâille
Au sabord sculpté d’ornements
Semble être chargée à mitraille
De saphirs et de diamants.

Mais, à bord du vaisseau féerique
Naviguant sous des cieux sereins,
L’immonde virus d’Amérique
Infecte le sang des marins.

La hideuse floraison pousse,
Sans que rien y puisse obvier,
Sur le frais visage du mousse
Et sur le front brun du gabier.

Tous ont les honteuses macules
Du poison qui fait son travail ;
Les mains sont noires de pustules
Du pilote à son gouvernail ;

Et, défiguré par un chancre,
Songeant qu’il faudra bien, un jour,
Rentrer au port et jeter l’ancre,
L’amiral a peur du retour.

Horreur ! grâce au vent qui l’entraîne,
Le sinistre vaisseau-trésor
Ramène une double gangrène,
La lèpre et le besoin de l’or ;

Et pour qu’elle s’y développe
De nation en nation,
Ces maudits portent à l’Europe
L’incurable contagion.

Pavillon flottant, tête basse,
Ils vont, mornes, dans la splendeur...
― Vois ce riche insolent qui passe,
Il a la peste dans le cœur !

Collection: 
1862

More from Poet

  • O poète trop prompt à te laisser charmer,
    Si cette douce enfant devait t'être ravie,
    Et si ce coeur en qui tout le tien se confie
    Ne pouvait pas pour toi frémir et s'animer ?

    N'importe ! ses yeux seuls ont su faire germer
    Dans mon âme si lasse et de tout assouvie...

  • J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
    Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge,
    Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là ;
    Elle songe sans doute au mal qui m'exila
    Loin d'elle, l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
    Car je suis...

  • Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
    Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
    S'emplit de l'odeur forte et tiède des jardins ;
    Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,
    S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
    Les polkas...

  • Songes-tu parfois, bien-aimée,
    Assise près du foyer clair,
    Lorsque sous la porte fermée
    Gémit la bise de l'hiver,

    Qu'après cette automne clémente,
    Les oiseaux, cher peuple étourdi,
    Trop tard, par un jour de tourmente,
    Ont pris leur vol vers le Midi ;...

  • Captif de l'hiver dans ma chambre
    Et las de tant d'espoirs menteurs,
    Je vois dans un ciel de novembre,
    Partir les derniers migrateurs.

    Ils souffrent bien sous cette pluie ;
    Mais, au pays ensoleillé,
    Je songe qu'un rayon essuie
    Et réchauffe l'oiseau...