Le Colosse

 
La cité le contemple avec orgueil et joie ;
Il ouvre aux travailleurs une nouvelle voie,
Une plus vaste arène, un plus large horizon.
Il eût émerveillé Rhodes, Ephèse et Rome…
Et les lourds chariots et les bêtes de somme
Auront pour ce géant le poids de l’oisillon.

Triomphe du penseur subjuguant la nature,
Au-dessus de l’abîme il dresse sa stature
Plein d’une majesté qu’on ne peut définir,
Et, fort comme le mont où la trombe se brise,
Debout sur les granits qui lui servent d’assise,
Il semble hardiment regarder l’avenir.

Il semble défier les ondes déchaînées,
Le choc des ouragans et l’effort des années.
Stable comme le roc, calme comme l’airain,
A peine il sentirait la foudre sur son arche.
Il montre ce que peut un peuple altier qui marche
Guidé par le flambeau du progrès souverain.
 
Oui, l’éclair vainement le choisirait pour cible.
Il est inébranlable, il est indestructible,
Et son lourd tablier est un large chemin
Où, rivaux fraternels, ardents, la tête haute,
Tous, Saxons et Latins, passeront côte à côte,
Du même pied alerte et la main dans la main.

Sous sa masse de fer l’abîme asservi tremble.
Du haut de ce balcon auquel nul ne ressemble,
L’œil contemple, charme, les trésors inouïs
Qu’en vidant son écrin fécond sur un rivage
La nature prodigue, en sa splendeur sauvage,
Étale sans mesure aux regards éblouis.

On vient de tous les points voir ce chef-d’œuvre énorme ;
Mais, que la cité veille ou que la cité dorme,
Rien ne fait tressaillir l’impassible géant,
Et, sous l’astre levant du siècle qui commence,
Le colosse poursuit en paix son rêve immense,
Les pieds enracinés dans le gouffre béant.

Et devant ce titan l’esprit soudain s’éveille ;
Nous songeons, orgueilleux, qu’une telle merveille,
Dont l’audace séduit les passants transportés,
Est un des lourds anneaux de la chaîne féconde
Que la main du progrès enroule sur le monde,
A travers les grands monts et les gouffres domptés.
 
Nous voyons, tout rêveurs, l’œil perdu dans l’espace,
Le chemin qu’a déjà parcouru notre race
Sur ces bords teints du sang d’héroïques rivaux,
Nous voyons, au-dessus de l’époque où nous sommes,
Dans un nimbe éclatant, briller les noms des hommes
Auxquels le pays doit ses immortels travaux !

Collection: 
1904

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